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LES FILLES DE MINÉE.

Il ayme donc cette Aure, et me quitte pour elle ?
Nous vous plaignons : il l’ayme, et sans cesse il l’appelle ;
Les échos de ces lieux n’ont plus d’autres emplois
Que celuy d’enseigner le nom d’Aure à nos bois ;
Dans tous les environs le nom d’Aure résonne.
Profitez d’un avis qu’en passant on vous donne :
L’interest qu’on y prend est de vous obliger.
Elle en profite, helas ! et ne fait qu’y songer.
Les amans sont toujours de legere croyance :
S’ils pouvoient conserver un rayon de prudence,
(Je demande un grand poinct, la prudence en amours)
Ils seroient aux rapports insensibles et sourds.
Nôtre épouse ne fut l’une ny l’autre chose.
Elle se leve un jour, et lors que tout repose,
Que de l’aube, au teint frais, la charmante douceur.
Force tout au sommeil, horsmis quelque Chasseur,
Elle cherche Cephale ; un bois l’offre à sa veuë.
Il invoquoit déja cette Aure prétenduë :
Vien me voir, disoit-il, chere Déesse, accours ;
Je n’en puis plus, je meurs ; fay que par ton secours
La peine que je sens se trouve soulagée.
L’Epouse se prétend par ces mots outragée :
Elle croit y trouver, non le sens qu’ils cachoient,
Mais celuy seulement que ses soupçons cherchoient.
O triste jalousie ! ô passion amere,
Fille d’un fol amour, que l’erreur a pour mere !
Ce qu’on voit par tes yeux cause assez d’embaras,
Sans voir encor par eux ce que l’on ne void pas !
Procris s’étoit cachée en la même retraite
Qu’un fan de biche avoit pour demeure secrete.
Il en sort, et le bruit trompe aussi-tôt l’Epoux.
Cephale prend le dard toûjours seur de ses coups,
Le lance en cet endroit, et perce sa jalouse :
Malheureux assassin d’une si chere épouse !
Un cri luy fait d’abord soupçonner quelque erreur :
Il accourt, void sa faute ; et, tout plein de fureur,
Du même javelot il veut s’ôter la vie.
L’Aurore et les Destins arrêtent cette envie.