Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
458
LES FILLES DE MINÉE.

Même tombe eut leurs corps, même sejour leurs ames.
Quelques-uns ont écrit (mais ce fait est peu seur)
Que chacun d’eux devint statuë et marbre dur.
Le couple infortuné face à face repose.
Je ne garantis point cette métamorphose :
On en doute. On la croit plus que vous ne pensez,
Dit Clymene ; et, cherchant dans les siecles passez
Quelque exemple d’amour et de vertu parfaite,
Tout cecy me fut dit par un[1] sage interprete.
J’admiray, je plaignis ces amans malheureux :
On les alloit unir, tout concouroit pour eux ;
Ils touchoient au moment, l’attente en étoit sûre :
Helas ! il n’en est point de telle en la nature ;
Sur le poinct de joüir, tout s’enfuit de nos mains :
Les Dieux se font un jeu de l’espoir des humains.
Laissons, reprit Iris, cette triste pensée.
La Fête est vers sa fin, grace au Ciel, avancée ;
Et nous avons passé tout ce temps en recits
Capables d’affliger les moins sombres esprits !
Effaçons, s’il se peut, leur image funeste.
Je pretends de ce jour mieux employer le reste,
Et dire un changement, non de corps, mais de cœur.
Le miracle en est grand ; Amour en fut l’auteur :
Il en fait tous les jours de diverse maniere.
Je changeray de stile en changeant de matiere.

Zoon plaisoit aux yeux, mais ce n’est pas assez :
Son peu d’esprit, son humeur sombre,
Rendoient ces talens mal-placez.
Il fuyoit les citez, il ne cherchoit que l’ombre,
Vivoit parmy les bois, concitoyen des ours,
Et passoit, sans aymer, les plus beaux de ses jours.
Nous avons condamné l’amour, m’allez-vous dire.
J’en blâme en nous l’excés, mais je n’aprouve pas
Qu’insensible aux plus doux appas
Jamais un homme ne soûpire.

  1. Le, dans les Fables choisies de 1694.