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LES FILLES DE MINÉE.


Hé quoy ! ce long repos est-il d’un si grand prix ?
Les morts sont donc heureux ? Ce n’est pas mon avis :
Je veux des passions ; et si l’état le pire
Est le neant, je ne sçay point
De neant plus complet qu’un cœur froid à ce poinct.
Zoon n’aymant donc rien, ne s’aymant pas luy-même,
Vid Iole endormie, et le voila frapé :
Voila son cœur dévelopé.
Amour, par son sçavoir suprême,
Ne l’eut pas fait amant qu’il en fit un heros.
Zoon rend grace au Dieu qui troubloit son repos :
Il regarde en tremblant cette jeune merveille.
A la fin Iole s’éveille :
Surprise et dans l’étonnement,
Elle veut fuïr, mais son amant
L’arréte, et luy tient ce langage :
Rare et charmant objet, pourquoy me fuyez-vous ?
Je ne suis plus celuy qu’on trouvoit si sauvage :
C’est l’effet de vos traits, aussi puissans que doux !
Ils m’ont l’ame et l’esprit et la raison donnée.
Souffrez que, vivant sous vos loix,
J’employe à vous servir des biens que je vous dois.
Iole, à ce discours encor plus étonnée,
Rougit, et sans répondre elle court au hameau,
Et raconte à chacun ce miracle nouveau.
Ses compagnes d’abord s’assemblent autour d’elle :
Zoon suit en triomphe, et chacun applaudit.
Je ne vous diray point, mes sœurs, tout ce qu’il fit,
Ny ses soins pour plaire à la belle.
Leur hymen se conclut. Un Satrape voisin,
Le propre jour de cette fête,
Enleve à Zoon sa conquête ;
On ne soupçonnoit point qu’il eût un tel dessein.
Zoon accourt au bruit, recouvre ce cher gage ;
Poursuit le ravisseur, et le joint, et l’engage
En un combat de main à main.
Iole en est le prix aussi bien que le juge.
Le Satrape vaincu trouve encor du refuge
En la bonté de son rival.