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PREMIERE PARTIE.

Dont renvoyé s’en va gay comme un Prince.
La Cour s’en plaint, et le Juge repart :
Ne me blâmez, Messieurs, pour cet égard.
De nouveauté dans mon fait il n’est maille ;
Maint d’entre-vous souvent juge au hazard,
Sans que pour ce tire à la courte-paille.



XI. — CONTE D’UN PAYSAN
QUI AVOIT OFFENSÉ SON SEIGNEUR [1].


Un Païsan son Seigneur offensa :
L’Histoire dit que c’estoit bagatelle ;
Et toutesfois ce Seigneur le tança
Fort rudement; ce n’est chose nouvelle.
Coquin, dit-il, tu merites la hard :
Fay ton calcul d’y venir tost ou tard ;
C’est une fin à tes pareils commune.
Mais je suis bon ; et de trois peines l’une
Tu peux choisir : ou de manger trente aulx,
J’entends sans boire, et sans prendre repos ;
Ou de souffrir trente bons coups de gaules,
Bien appliquez sur tes larges épaules ;
Ou de payer sur le champ cent écus.
Le Païsan consultant là-dessus :
Trente aulx sans boire ! ah, dit-il en soy-même,
Je n’appris onc à les manger ainsi.
De recevoir les trente coups aussi,
Je ne le puis sans un peril extrême.
Les cent écus, c’est le pire de tous.

  1. Dans les manuscrits de Conrart cette pièce a pour titre : Conte d’un Gentilhomme espagnol et d’un Païsan son vassal. Molière s’est rappelé ce conte en écrivant le 1er intermède du Malade imaginaire.