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CONTES ET NOUVELLES.

Incertain donc il se mit à genoux,
Et s’écria : Pour Dieu, miséricorde !
Son Seigneur dit : Qu’on apporte une corde ;
Quoy ! le Galant m’ose répondre encor ?
Le Païsan, de peur qu’on ne le pende,
Fait choix de l’ail ; et le Seigneur commande
Que l’on en cueüille, et surtout du plus fort.
Un aprés un luy-mesme il fait le conte :
Puis, quand il void que son calcul se monte
A la trentaine, il les met dans un plat ;
Et, cela fait, le malheureux pied-plat
Prend le plus gros, en pitié le regarde,
Mange, et rechigne ainsi que fait un chat
Dont les morceaux sont frotez de moûtarde.
Il n’oseroit de la langue y toucher.
Son Seigneur rit, et surtout il prend garde
Que le Galant n’avale sans mascher.
Le premier passe ; aussi fait le deuxiéme ;
Au tiers il dit : Que le diable y ait part !
Bref il en fut à grand’peine au douziéme,
Que s’écriant : Haro ! la gorge m’ard !
Tost, tost, dit-il, que l’on m’apporte à boire !
Son Seigneur dit : Ah ! ah ! sire Gregoire !
Vous avez soif ! je vois qu’en vos repas
Vous humectez volontiers le lampas.
Or beuvez donc, et beuvez à vostre aise ;
Bon prou vous fasse : hola, du vin, hola !
Mais mon amy, qu’il ne vous en déplaise,
II vous fauldra choisir aprés cela,
Des cent écus, ou de la bastonnade,
Pour suppléer au défaut de l’aillade.
Qu’il plaise donc, dit l’autre, à vos bontez
Que les aulx soient sur les coups precontez :
Car, pour l’argent, par trop grosse est la somme :
Où la trouver, moy qui suis un pauvre homme ?
Hé bien, souffrez les trente horions,
Dit le Seigneur ; mais laissons les oignons.
Pour prendre cœur, le Vassal en sa panse