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DEUXIESME PARTIE.

Plus je vous vois, plus je crois voir aussi
L’air et le port, les yeux, la remembrance
De mon Epoux ; que Dieu luy fasse paix :
Voyla sa bouche, et voyla tous ses traits.
Renaud reprit : Ce m’est beaucoup de gloire ;
Mais vous, Madame, à qui ressemblez-vous ?
A nul objet ; et je n’ay point memoire
D’en avoir veu qui m’ay semblé si doux.
Nulle beauté n’approche de la vostre.
Or me voicy d’un mal cheu dans un autre :
Je transissois, je brûle maintenant.
Lequel vaut mieux ! La Belle l’arrestant,
S’humilia pour estre contredite :
C’est une adresse à mon sens non petite.
Renaud poursuit : loüant par le menu
Tout ce qu’il voit, tout ce qu’il n’a point veu,
Et qu’il verroit volontiers, si la Belle
Plus que de droit ne se monstroit cruelle.
Pour vous loüer comme vous meritez,
Ajousta-t-il, et marquer les beautez
Dont j’ay la veuë avec le cœur frappée
(Car prés de vous l’un et l’autre s’ensuit)
Il faut un siecle, et je n’ay qu’une nuit,
Qui pourroit estre encor mieux occupée.
Elle sousrit ; il n’en falut pas plus.
Renaud laissa les discours superflus :
Le temps est cher en Amour comme en guerre.
Homme mortel ne s’est veu sur la terre
De plus heureux ; car nul point n’y manquoit.
On resista tout autant qu’il faloit
Ny plus ny moins, ainsi que chaque Belle
Sçait pratiquer, pucelle ou non pucelle ;
Au demeurant, je n’ay pas entrepris
De raconter tout ce qu’il obtint d’elle :
Menu détail, baisers donnez et pris,
La petite oye ; enfin ce qu’on appelle
En bon François les preludes d’Amour ;
Car l’un et l’autre y sçavoit plus d’un tour.