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CONTES ET NOUVELLES.

Au souvenir de l’estat miserable
Où s’estoit veu le pauvre voyageur,
On luy faisoit toûjours quelque faveur :
Voila, disoit la Veuve charitable,
Pour le chemin, voicy pour les brigans,
Puis pour la peur, puis pour le mauvais temps ;
Tant que le tout piece à piece s’efface.
Qui ne voudroit se raquiter ainsi ?
Conclusion, que Renaud sur la place
Obtint le don d’amoureuse mercy.
Les doux propos recommencent ensuite,
Puis les baisers, et puis la noix confite.
On se coucha. La Dame, ne voulant
Qu’il s’allast mettre au lit de sa servante,
Le mit au sien. Ce fut fait prudemment,
En femme sage, en personne galante.
Je n’ay pas sceu ce qu’estant dans le lit
Ils ayoient fait ; mais, comme avec l’habit
On met à part certain reste de honte[1],
Apparemment le meilleur de ce Conte
Entre deux draps pour Renaud se passa.
Là plus à plein il se recompensa
Du mal souffert, de la perte arrivée ;
Dequoy s’estant la Veuve bien trouvée ;
Il fut prié de la venir revoir ;
Mais en secret ; car il faloit pourvoir
Au Gouverneur. La Belle non contente
De ses faveurs, estala son argent.
Renaud n’en prit qu’une somme bastante
Pour regagner son logis promptement.
Il s’en va droit à cette Hostellerie
Où son Valet estoit encore au lit.
Renaud le rosse, et puis change d’habit,
Ayant trouvé la valize garnie.

  1. Dans Hérodote (1, 8) : « Oubliez-vous qu’une femme dépose sa pudeur avec ses vêtements ? » (Note de M. Boissonade.)