Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 4.djvu/136

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Ne recours plus, Acante, au changement.
Loin de trouver en ce bas élement
Quelqu’autre objet qui ta Dame surmonte,
Dans les Palais qui sont au firmament
Telle n’est point la Reine d’Amatonte.


Apollon.

Vostre tour est venu, Calliope : essayez
Un de ces deux chemins qu’aux Auteurs ont frayez
Deux Écrivains fameux ; je veux dire Malherbe,
Qui loüoit ses Heros en un stile superbe ;
Et puis Maistre Vincent, qui mesme auroit loüé
Proserpine et Pluton en un stile enjoüé.


Calliope.

Sire, vous nommez là deux trop grands Personnages.
Le moyen d’imiter sur le champ leurs ouvrages ?


Apollon.

Il faut que je me sois sans doute expliqué mal ;
Car vouloir qu’on imite aucun original
N’est mon but, ny ne doit non plus estre le vostre,
Hors ce qu’on fait passer d’une langue en une autre.
C’est un bétail servile et sot, à mon avis,
Que les imitateurs ; on diroit des brebis
Qui n’osent avancer qu’en suivant la premiere,
Et s’iroient sur ses pas jetter dans la riviere[1].
Je veux donc seulement que vous nous fassiez voir,
En ce stile où Malherbe a montré son sçavoir,
Quelque essay des beautez qui sont propres à l’Ode ;
Ou si, ce genre-là n’estant plus à la mode,
Et demandant d’ailleurs un peu trop de loisir,
L’autre vous semble plus selon vostre desir,
Vous louïez galamment la Maistresse d’Acante,
Comme Maistre Vincent, dont la plume élegante

  1. Allusion à l’histoire des moutons de Panurge, que La Fontaine a racontée tout au long, d’après Rabelais, dans un de ses Contes, t. II, p. 240.