Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 4.djvu/19

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Il me quitte, il apprend nos feux d’un Parasite :
Les miens perdent le jour, mon oncle prend mes biens,
Vend la fille à Thrason, je la veux rendre aux siens ;
Et cent autres raisons l’une à l’autre enchaînées,
Puis en fin, de me voir privez-vous deux journées.
C’estoit donc là le but où devoit aboutir
La fable que chez vous vous venez de bastir ?
Sans perdre tant de temps, sans prendre tant de peine,
Que ne me disiez-vous : J’ayme le Capitaine ?
N’opposez point vos feux à cet ardent desir.
Vous aurez plustost fait d’endurer qu’à loisir
Je contente l’ardeur que pour luy j’ay conceuë.
Dites, si vous voulez, que la vostre est deceuë,
Prenez-en pour tesmoins les hommes et les Dieux :
Pourveu qu’incessamment il soit devant mes yeux,
Il m’importe fort peu de passer pour parjure.

Thaïs

Je vous ayme, et pour vous je souffre cette injure.

Phœdrie

Vous m’aymez ! c’est en quoy mon esprit est confus ;
L’amour peut-il souffrir de semblables refus ?

Thaïs

Je ne vous répons point, de peur de vous déplaire,
Il faut que ma raison cede à vostre colere.
Je ne veux point de temps, non pas mesme un seul jour ;
Je renonce à ma sœur plustost qu’à vostre amour.

Phœdrie

Plustost qu’à mon amour ! Ah ! si du fond de l’ame
Ce mot estoit sorty…

Thaïs

Ce mot estoit sorty… Doutez-vous de ma flâme ?

Phœdrie

J’auray lieu d’en douter si, ce terme finy,
Tout autre Amant que moy de chez-vous n’est bany.