Page:La Fontaine - Fables, Livres 10-11-12, Hachette, 1885.djvu/9

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les arbitres consultés, tous fort laconiques, sont une Vache, un Brahmane, un Ours, un Lion.

A ce même point de vue, du recours à l’arbitrage, on pourrait à ce rapprochement en joindre beaucoup d’autres : par exemple, celui de la fable XVIII de Philelphe, d’un Villageois, d’un Paysan et d’un Ours; (p. 103 de la traduction de J. Baudoin), dans laquelle un Ours, sauvé par un Homme, voulant le dévorer, on s’en rapporte successivement au Cheval, au Chien, puis à un Vieillard ; de la fable 71 du Minnesinger de Zurich ; d’un conte arabe, le Cavalier le Serpent[1], où les arbitres sont un Palmier, une Fontaine et un Renard ; d’un conte grec moderne[2], où la contestation est également entre l’Homme et le Serpent. Dans les trois dernières pièces, ce n’est pas de lui-même, comme dans notre fable, que l’Homme se décide à tuer, quoi qu’on lui ait dit, le Serpent ; c’est, comme déjà dans la version orientale de Bidpaï et, pour le Crocodile du Pantchatantra de Dubois, d’après le conseil perfide du Renard, qui persuade à la bête de se livrer stupidement, sans défense, à la discrétion de la partie adverse. Même traîtrise, mais, pour finir, châtiment du Renard (il est tué, comme dans l’apologue des Tischreden), dans la très-longue fable de Burkhard Waldis (la 99e du livre IV), où une sorte de Dragon fabuleux est substitué au Serpent.

M. Taine (p. 273-280), après avoir transcrit le commencement de la fable de Bidpaï, n’a pas de peine à montrer comment chez la Fontaine toutes les parties se subordonnent à la conclusion et y conduisent bien plus naturellement que chez l’auteur oriental : « Au fond, et en somme, ce qui l’a frappé, c’est une idée, ou plutôt un sentiment de l’injustice ; de ce sentiment a découlé toute sa fable ; c’est ce sentiment qui a retranché le maladroit début du conteur indien ; c’est ce sentiment qui a choisi les personnages, approprié les discours, relié les détails, soutenu le ton, apporté les preuves, l’ordre, la colère et l’éloquence ; c’est ce sentiment qui a

  1. Tiré par M. Cherbonneau d’un recueil manuscrit intitulé le Conteur d’anecdotes, où se trouvent d’autres fables à comparer à celles de la Fontaine ; une, dans le nombre, le Coq et le Renard, à la XVe du livre II : voyez le Journal Officiel du 1er août 1880.
  2. Le XVIIIe de la série publiée à Copenhague, avec notes de M. Jean Pio. M. Gidel l’a analysé dans la Revue politique et littéraire du 26 février 1881.