Page:La Fontaine - Fables choisies, Barbin 1692, tome 1.djvu/36

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D’ESOPE.

les police ; on inſtruit ; on perſuade ; on regne dans les Aſſemblées ; on s’acquitte du premier de tous les devoirs, qui eſt de loüer les Dieux. Et bien (dit Xantus qui prétendoit l’attraper) achete-moy demain ce qui eſt de pire : ces meſmes perſonnes viendront chez moy, & je veux diverſifier. Le lendemain Eſope ne fit ſervir que le meſme mets, diſant que la Langue eſt la pire choſe qui ſoit au monde. C’eſt la Mere de tous debats, la Nourrice des procez, la ſource des diviſions & des guerres. Si l’on dit qu’elle eſt l’organe de la Verité, c’eſt auſſi celuy de l’erreur, & qui pis eſt de la Calomnie. Par elle on détruit les Villes, on perſuade de méchantes choſes. Si d’un côté elle louë les Dieux, de l’autre elle profere des blaſphêmes contre leur puiſſance. Quelqu’un de la compagnie dit à Xantus, que veritablement ce Valet luy eſtoit fort neceſſaire ; car il ſçavoit le mieux du monde exercer la patience d’un Philoſophe. Dequoy vous mettez-vous en peine ? reprit Eſope. Et trouve-moy, dit Xantus, un homme qui ne ſe mette en peine de rien. Eſope alla le lendemain ſur la Place ; & voyant un Païſan qui regardoit toutes choſes avec