Page:La Fontaine - Lettres de Paris en Limousin.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
6.

Colbert voulut-il cependant unir dans une disgrâce égale l’oncle et le neveu, parce que tous les deux défendaient, suivant leurs moyens propres, le malheureux Surintendant ? Ce n’est pas impossible, puisque tous ceux qui témoignèrent publiquement de la sympathie à Foucquet, ressentirent plus ou moins les effets de la colère du ministre. Mais les poésies de La Fontaine méritaient-elles une aussi grave sanction que les écrits de Jannart ? Les arguments du coeur auraient-ils eu pour Colbert la même importance que les arguments d’ordre juridique ? Certainement pas, et ce n’est d’ailleurs que devant l’iniquité flagrante du procès, qu’ils produisirent une impression profonde sur les amis comme sur les ennemis du Surintendant.

Et pourtant, des historiens et critiques sérieux, en se fondant sur certains passages des épîtres de La Fontaine à sa femme, ont pensé que le poète était compris dans la lettre de cachet qui exilait Jannart.

Chéruel, Lair et Faguet ont noté quelques phrases de notre auteur qui feraient croire que, lui aussi, il avait reçu commandement de s’exiler (1). Quand il raconte le départ de Jannart et le sien au milieu des "condoléances" et des larmes de leurs amis, il écrit : "M. le lieutenant criminel en usa généreusement, libéralement, royalement ; il ouvrit sa bourse, et nous dit que nous n’avions qu’à puiser" (2). Par la suite, il emploie encore fréquemment le "nous", même quand il fait mention expresse des ordres royaux ; "Là (à Bourg-la-Reine) se doit trouver un valet de pied du roi, qui a ordre de nous accompagner jusqu’à Limoges" (3). Il remet "la description du château (de Richelieu) à une autre fois, afin d’avoir plus souvent occasion de ... demander (à Melle de La Fontaine) de (ses) nouvelles , et pour ménager un amusement qui (lui) doit faire passer (leur) exil avec moins d’ennui" (4). Huit jours après, il légitime l'intérêt qu’il a pris à visiter ce château, en écrivant : " Il faut bien que j’emploie à quelque chose le loisir que le roi nous donne" (5). Enfin, dans la dernière lettre que nous possédions sur ce voyage en Limousin, il explique que Jannart et lui ont négligé Poitiers, parce que "nous jugeâmes qu’il valait mieux obéir ponctuellement aux ordres du roi" (6),

Il a même laissé entendre qu’il avait reçu une lettre de cachet personnelle , quand il a justifié son départ par les mots : "La fantaisie de voyager m’était entrée quelque temps auparavant dans l’esprit, comme si j’eusse eu des pressentiments de l’ordre du roi" (7).

(1) Récemment M. Adam écrivait encore : "certains mots feraient croire qu’il (La Fontaine) n’avait pas eu le choix et que ce "voyage" lui avait été ordonné". Histoire de la littérature française au XVIIe siècle. Paris, Domat, 1954, in-8. T. IV, p. 15. L. Petit penchait aussi pour le "voyage forcé", o.c. p. 206.
(2) Lettre I p. 41.
(3) Ibid. p. 43.
(4) IV. p. 58.
(5) V. p. 60.
(6) VI. p. 69.
(7) I. p. 41.