Page:La Fontaine - Lettres de Paris en Limousin.djvu/11

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7.

Faguet a été encore plus loin. Il a suggéré que La Fontaine semble avoir été surveillé par le valet de pied plus que son oncle. Il en tire la preuve d’un passage de la quatrième lettre. Lorsque le carrosse arriva "au Port-de-Pilles" la "compagnie commença de se séparer", raconte La Fontaine. "Pour moi, ajoute-t-il, comme Richelieu n’était qu’à cinq lieues, je n’avais garde de manquer de l’aller voir : les Allemands se détournent bien pour cela de plusieurs journées" (1). Or, fait remarquer le critique, l’exempt, M. de Châteauneuf, accompagne le poète, tandis qu’il laisse Jannart entièrement libre ... En réalité, l’étude des lignes en question montre que le valet de pied a accompagné La Fontaine par simple gentillesse, et non parce qu’il l’estimait plus dangereux : "M. de Châteauneuf, qui connaissait le pays, s’offrit de m'accompagner : je le pris au mot" (2). Gustave Michaut, en pressant davantage ce texte, y trouve, au contraire, l’indication que l’oncle paraît le seul exilé : "Si Jannart n’est pas allé à Richelieu, déclare- t-il, c’est peut-être qu’il n’était pas curieux ; c’est peut-être aussi que le valet de pied du roi peut bien lui permettre de prendre son temps en route, mais n’ose pas l’autoriser à s’écarter du chemin direct et à transformer son exil en partie de plaisir. Mais il n’a aucune inquiétude à le laisser filer jusqu’à Châtellerault, tandis que lui-même, pour son agrément et par complaisance, accompagnera dans son excursion le voyageur libre, La Fontaine" (3).

Il n’est d’ailleurs pas trop difficile de répondre aux arguments précédemment cités. Si La Fontaine parle des "ordres du roi", s’il emploie le "nous" lorsqu’il décrit les péripéties de ce voyage, ce n’est pas nécessairement parce que la lettre de cachet le vise comme son parent. Puisqu’il a décidé d’accompagner celui-ci à Limoges, les "ordres du roi" sont une des causes de son voyage, ce sont eux qui expliquent le "nous" : le neveu subissant avec l’oncle la présence de l’exempt et les circonstances de ce départ en exil.

De plus, certains passages des lettres nous invitent à penser que La Fontaine n’avait vraiment pas été obligé de quitter Paris. Quand il visite le château de Richelieu, il remarque "les Jocondes, les Belle-Agnès, et ces conquérantes illustres sans qui Henri IV aurait été un prince invincible", et il continue : "Je les regardai d’aussi bon coeur que je voudrais voir votre oncle à cent lieues d’ici" (4), S’il avait été compris dans la condamnation, n’était-ce pas le moment d’employer encore le "nous" ?

(1) Lettre IV, p. 56.
(2) E. Faguet, Histoire de la poésie française. T. IV. J. de La Fontaine, Paris, Boivin, 1930, in-8, pp. 42-43. L’auteur reprend dans son livre les idées et souvent même les mots de ses conférences parues, en 1897, dans la R.C.C . (N° 11 à 34) et, en 1913, dans la R.H. (N° 5 à 12). Ces deux derniers documents ne seront utilisés que comme compléments de l’ouvrage définitif. Cit. Lettre IV, p. 56.
(3) "Travaux récents sur La Fontaine". R.H.L.F . Janv.Juin 19l6,p. 95.
(4) Lettre V, p. 63.