Page:La Fontaine - Lettres de Paris en Limousin.djvu/15

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non seulement au goût de sa femme, mais au goût de la petite coterie ; il s’adressera à sa femme, mais il s’adressera aussi et en quelque sorte par-dessus elle à ces autres lecteurs ; il supprimera toutes les confidences qu’il peut bien faire à sa femme, mais qu’il ne veut ni peut faire à des tiers. Et M. Faguet accorde troisièmement que ce mari a "l’arrière-pensée probable" de "donner un jour ces lettres au public ", que parfois "c’est un peu du Chapelle et Bachaumont", donc ce mari y écrira dès maintenant sinon toutes les pages, au moins un bon nombre de pages pour le grand public. C’est seulement quand, ces prémisses posées, M. Faguet conclut : " c’est un voyage de La Fontaine ayant le caractère domestique et familial au plus haut degré", que je ne peux plus du tout le suivre" (1).

Michaut,en suggérant que Faguet et lui sont d’accord "en réalité et pour le fond des choses" , paraît bien nous avoir procuré le moyen de résoudre cette question.

La Fontaine, quand il entreprend d’écrire à sa femme, se donne comme but principal de raconter les péripéties de son voyage : "Vous n’avez jamais voulu lire d’autres voyages, lui disait-il dans sa première lettre, que ceux des chevaliers de la Table Ronde ; mais le nôtre mérite bien que vous le lisiez ... Il pourra même arriver, si vous goûtez ce récit, que vous en goûterez après de plus sérieux" (2). Cette entrée en matière nous rappelle qu’en cette année 1663 Chapelain signalait à son correspondant Carrel de Sainte-Garde : "Nostre nation a changé de goust pour les lectures et au lieu des romans qui sont tombés avec la Calprenède, les voyages sont venus en crédit et tiennent le haut bout dans la cour et dans la ville" (5). Aussi les relations de voyages allaient-elles se multiplier dans la seconde moitié du siècle (4) et La Fontaine, quand il se décidait à raconter, sous forme de lettres à sa femme, ce qui lui arriverait sur le chemin de l’exil, ne faisait que se conformer, d’une façon personnelle il est vrai, à la mode du temps.

Précisément, après cette introduction, notre auteur continue à la manière d’un récit de voyage : "Nous partîmes donc de Paris le 23 du courant " ... (5), et les deux paragraphes suivants rapportent des indications du même ordre : "La fantaisie de voyager m’était entrée quelque temps auparavant dans l’esprit ... Il y avait plus de quinze jours que je ne parlais d’autre chose que d’aller tantôt à Saint-Cloud, tantôt à Charonne, et j’étais honteux d’avoir tant vécu sans rien voir". "Quoi qu’il en soit, j’ai tout à fait bonne opinion de notre voyage ... En vérité, c’est un plaisir que de voyager ; on rencontre toujours quelque chose de remarquable" (6). Enfin,

(1) R.H.L.F . 1916. p.102.
(2) Lettre I, p, 41.
(3) J. Chapelain , Lettres ... p.p. Ph. Tamizay de Larroque. Paris, impr, nationale, 1880-83, 2 vol. in-4, T. II, pp. 340-41. Même idée dans la Relation divertissante d’un voyage fait en Provence ... (par un "petit père de la maison proche la place des Victoires), Paris, Ch. de Sercy, 1667, in-8, p.3.
(4) Cf. G. Atkinson. Les relations de voyage au XVIIe siècle ... Paris, Champion 1927, in-16, p. 5.
(5) Lettre I, p. 41.
(6) Ibid.