Page:La Fontaine - Lettres de Paris en Limousin.djvu/16

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cette première lettre se termine par ces mots bien clairs : "Je vous écrirai ce qui nous arrivera en chemin, et ce qui me semblera digne d’être observé" (1). Chapelle et Bachaumont eux aussi n’avaient-ils pas dit au commencement de leur écrit, qui n’a jamais passé pour autre chose qu’un récit de voyage : "nous ne laissons pas ... de vous envoïer (aux frères Broussin) le récit de tout ce qui s’est passé dans notre Voïage, si particulier, que vous en serés assurément satisfaits" (2).

Dans ces conjonctures, peu importe le titre qui a été donné parfois à ce petit ouvrage de La Fontaine. Qu’on l’intitule tout simplement "Lettres à sa femme" , ou "Lettres à sa femme sur son voyage de Paris en Limousin", il n’en reste pas moins, dans la pensée de celui qui l’a rédigé, la relation de son voyage et non une série de lettres intimes. D’ailleurs, il faudrait savoir quelle dénomination aurait choisie La Fontaine, s’il s’était décidé à publier lui-même son oeuvre.

Or, il ne l’a jamais éditée, bien que, plus d’une fois, il ait donné l’impression qu’il "vidait ses tiroirs", pour grossir telle ou telle de ses publications. Doit-on en conclure que c’est précisément parce qu’il la considérait comme trop personnelle, trop familiale et donc sans intérêt pour le public ? Faguet le pensait, tout en admettant que La Fontaine avait pu ne pas vouloir imprimer son travail , parce qu’il ne formait pas vraiment un tout. Ce "Voyage en Limousin, qui s’arrête avant qu’il soit dit un mot du Limousin", aurait paru à celui qui l’avait rédigé "n’être qu’une ébauche, interrompue probablement" par un retour précipité à Paris. Mais, quelle que soit la force que l’on veuille bien attribuer à cet argument, il laisse subsister une grande partie de l’objection : La Fontaine n’a pas édité ses lettres, pour la seule raison que ce sont avant tout des lettres et qu’une publication aurait exigé la suppression de "certaines pages trop intimes" (3).

Faguet et tous ceux qui partagent l’opinion de l’éminent critique n’ont pas de peine à montrer que ces "pages trop intimes" sont nombreuses dans les six lettres. La critique des goûts de sa femme, placée au début de cette correspondance : " Vous ne jouez, ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage ; et, hors le temps que vos bonnes amies vous donnent par charité, il n’y a que les romans qui voua divertissent ... Ce n’est pas une bonne qualité pour une femme d’être savante ; et c’en est une très mauvaise d’affecter de paraître telle ..." (4), cette "semonce" serait-elle de mise dans une oeuvre destinée à l’impression ? D’autant que La Fontaine ne la fait pas une seule fois, en passant : il y revient à plusieurs reprises et sans la moindre précaution pour dérouter ses lecteurs. Ainsi, dans sa deuxième lettre, il annonce qu’il a évité de "particulariser en dedans" la ville d’Orléans, car cela ennuierait Mademoiselle de La Fontaine : "c’en est déjà trop" pour elle,

(1) Ibid. p. 43.
(2) Oeuvres de Chapelle et de Bachaumont (p. p. Saint-Marc). La Haie et Paris, Quillau, 1755, in-8. Voïage , p. 5.
(3) Faguet, art. c. p. 15.
(4) Lettre I, p. 4I.