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59.

LETTRE V

À Limoges, ce 12 septembre 1663.

Je vous promis par le dernier ordinaire (1) la description du château de Richelieu ; assez légèrement, pour ne vous en point mentir (2), et sans considérer mon peu de mémoire, ni la peine que cette entreprise me devait donner (3). Pour la peine, je n’en parle point, et, tout mari que je suis, je la veux bien prendre : ce qui me retient, c’est le défaut de mémoire ; pouvant dire la plupart du temps que je n’ai rien vu (4) de ce que j’ai vu, tant je sais bien oublier les choses. Avec cela (5), je crois qu’il est bon de ne point passer par-dessus cet endroit de mon voyage sans en vous faire la relation. Quelque mal que je m’en acquitte, il y aura toujours à profiter ; et vous n’en vaudrez que mieux de savoir, sinon toute l’histoire de Richelieu, au moins quelques singularités (6) qui ne me sont point échappées, parce que je m’y suis particulièrement arrêté. Ce ne sont peut-être pas les plus remarquables ; mais que vous importe ? De l’humeur dont je vous connais, une galanterie (7) sur ces matières vous plaira plus que tant d’observations savantes et curieuses. Ceux qui chercheront de ces observations savantes dans les lettres que je vous écris se tromperont fort. Vous savez mon ignorance en matière d’architecture, et que je n’ai rien dit de Vaux que sur des mémoires (8). Le même avantage ne manque pour Richelieu : véritablement au lieu de cela j’ai eu les avis de la concierge* et ceux de Monsieur de Châteauneuf (9) : avec (10) l’aide de Dieu et de ces personnes, j’en sortirai (11). Ne laissez pas de mettre la chose au pis : car il vaut mieux, ce me semble, être trompée de cette façon que de l’autre. En tout cas, vous aurez recours à ce que Monsieur Desmarets* (12) a dit de cette maison : c’est un grand maître en fait de descriptions. Je me garderais bien de particulariser (13) aucun des endroits où il a pris plaisir à s’étendre, si ce n’était que la manière dont je vous écris ces choses n’a rien de commun avec celle de ses Promenades.

Nous arrivâmes donc à Richelieu par une avenue qui borde un côté du parc. Selon la vérité*, cette avenue peut avoir une demi-lieue ; mais, à compter selon l’impatience où j’étais, nous trouvâmes qu’elle avait une bonne lieue tout au moins. Jamais préambule (14) ne s’est rencontré si mal à propos, et ne m’a semblé si long. Enfin on se trouve en une place fort spacieuse ; je ne me souviens pas bien de quelle figure elle est : demi-rond ou demi-ovale (15), cela ne fait rien à l’histoire ; et pourvu que vous soyez avertie que c’est la principale entrée de cette maison, il suffit. Je ne me souviens pas non plus en quoi consistent (16) la basse-cour, l’avant-cour, les arrière-cours, ni du nombre des pavillons et corps de logis du château (17), moins encore de leur structure. Ce détail m’est échappé ; de quoi vous êtes femme encore une fois à ne vous pas soucier bien fort : c’est assez que le tout est d’une beauté, d’une magnificence, d’une grandeur, dignes de celui qui l’a fait