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Monsieur le Prince la terre, et le duc* de Brézé la mer. Le premier est venu à bout de son entreprise ; l’autre l’aurait fort avancée s’il eût vécu, mais un coup de canon l’arrêta, et l’alla choisir au milieu d’une armée navale. Je ne sais si on me montra le marquis (74) et l’abbé (75) de Richelieu*. Il y a toutefois apparence que leurs portraits sont aussi dans ce cabinet, quoiqu’ils ne fussent qu’enfants lorsqu’on le mit en l’état qu’il est. Tous deux sont bien dignes d’y avoir place. Tant que le marquis a vécu, il a été aimé du roi et des belles ; l’abbé l’est de tout le monde par une fatalité* dont il ne faut point chercher la cause parmi les astres (76),

Outre la famille de Richelieu (77), je parcourus celle de Louis XIII (78). Le reste est plein de nos rois et reines, des grands seigneurs, des grands personnages de France (je fais deux classes des grands personnages et des grands seigneurs, sachant bien qu’en toutes choses il est bon d’éviter la confusion (79) ) ; enfin, c’est l’histoire de notre nation que ce cabinet. On n’a eu garde d’y oublier les personnes qui ont triomphé de nos rois. Ne vous allez pas imaginer que j’entende par là des Anglais ou des Espagnols, c’est un peuple bien plus redoutable et bien plus puissant dont je veux parler ; en un mot, ce sont les Jocondes, les Belle-Agnès* (80), et ces conquérantes illustres sans qui Henri IV (81) aurait été un prince invincible (82). Je les regardai d’aussi bon cœur que je voudrais voir votre oncle à cent lieues d’ici.

Enfin, nous sortîmes de cet endroit, et traversâmes je ne sais combien de chambres riches, magnifiques, des mieux ornées, et dont je ne dirai rien ; car de m’amuser à des lambris et à des dorures, moi que Richelieu a rempli d’originaux et d’antiques, vous ne me le conseilleriez pas ; toutefois, je vous avouerai que l’appartement du roi m’a semblé merveilleusement superbe ; celui de la reine ne l’est pas moins ; il y a tant d’or (83) qu’à la fin je m’en ennuyai. Jugez ce que peuvent faire les grands seigneurs, et quelle misère c’est d’être riche : il a fallu qu’on ait inventé les chambres de stuc, où la magnificence se cache sous une apparence de simplicité. Il est encore bon que vous sachiez que l’appartement du roi consiste en diverses pièces, dont l’une, appelée le grand cabinet (84) est remplie de peintures exquises : il y a, entre autres, des Bacchanales du Poussin (85), et un combat burlesque et énigmatique de Pallas et de Vénus, d’un peintre que la concierge* ne nous put nommer (86) : Vénus a le casque en tête et une longue estocade (87). Je voudrais pour beaucoup me souvenir des autres circonstances de ce combat et des différents personnages dont est composé le tableau, car chacune de ces déesses a son parti qui le favorise. Vous trouveriez fort plaisantes les visions que le peintre a eues. Il fait demeurer l’avantage à la fille de Jupiter ; mais à propos, elles sont toutes deux ses filles : je voulais donc dire à celle qui est née de son cerveau. La pauvre Vénus est blessée par son ennemie. En quoi l’ouvrier (88) a représenté les choses non comme elles sont, car d’ordinaire c’est la beauté qui est victorieuse de la vertu, mais plutôt comme elles doivent être : assurément sa maîtresse lui avait joué quelque mauvais tour.

Ce grand cabinet dont je parle est accompagné d’un autre petit (89) où quatre tableaux pleins de petites figures représentent les quatre éléments (90). Ces tableaux