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Et cette ambition, légitime du reste, mais mal mesurée, l’avait portée à négliger une foule de détails qui à la ferme constituent pourtant une condition sine quâ non du succès.

C’est ainsi que ses travaux de voirie et ses clôtures étaient absolument négligés. Conséquence : les troupeaux dévoraient parfois en quelques heures le fruit de longs jours de travail. En hiver, la provision de fourrage engrangée était rarement suffisante ; de là parcimonie dans les rations, puis achats onéreux au printemps pour compléter l’hivernage.

Dans son désir effréné de faire grand, il labourait grand, mais très superficiellement, ensemençait à la hâte des champs dont il aurait dû réduire de moitié au moins les proportions, afin de labourer mieux, herser mieux, drainer mieux, fumer mieux, clôturer mieux, sarcler mieux, et, sans plus de peine, tripler ses récoltes, tout en évitant de ruiner le sol. Ce dernier, le plus clair de son capital, s’épuisait donc d’année en année, faute d’assolement et de rotation convenables. Mais les colons du sol vierge, témoins de sa fertilité et de sa générosité premières, croyaient que cela durerait toujours, et assez rarement il leur venait à l’esprit que le sol même le plus riche n’est autre chose en réalité qu’un grand magasin, que l’on finit nécessairement par épuiser et vider entièrement si l’on n’a pas le soin d’y retourner de la marchandise de temps en temps pour remplacer celle que l’on en a tirée.