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XX

Le sort


« C’est un mal donné, disait le Sauvage, en tête à tête avec M. Pinette.

— Comment, un mal donné ?

— Oui, un sort. Et un sort d’hiver encore ! Et je n’y puis rien seul, c’est-à-dire sans ta permission ; et sans le secours de l’homme qui a jeté le sort. Il a les sens plus forts que moi. Il faut qu’il soit ici et qu’il consente. Le sort est entré à l’automne et est censé hiverner là ; mais si tu veux m’écouter, on peut le sortir dans 13 jours, un vendredi.

— Mais s’il faut que celui qui l’a jeté y soit, hasarda M. Pinette, évidemment pour gagner du temps et réfléchir.

— Celui qui l’a jeté, il va venir, fit solennellement le Sauvage, tirant sa montre de cuivre. Je m’en charge. Donne-moi un jeu de cartes.

Peu après le Sauvage, adossé à la fenêtre, dont les vitres étaient entièrement recouvertes d’un givre épais, jonglait avec les cartes, sans aucunement s’occuper de ce qui se passait autour de lui.

— Il vient, dit-il ; bon, il vient.

— Qui ça, demanda M. Pinette.

— Chut ! On nomme personne… jamais ! entends-tu ?… Jument grise ; grelot fêlé… Il va te rendre un service… Il est pressé… Bon ! À l’ouvrage, maintenant, dit le jongleur en se levant tout à coup ; Donne-moi deux draps blancs sur lesquels un chrétien mort a passé au moins cent et une nuits.

— Pourquoi faire ? s’exclama M. Pinette ahuri.

— Pour chasser le sort ; je prends tout sur mes charges…

— Mais M. le Curé ? commença M. Pinette.