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Page:La Grande Revue, Vol 51, 1908.djvu/775

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tres penseurs. La nature évolue, c’est du Darwin. La nature est bonne, écoutez-la, ne la déformez pas, c’est du Rousseau. « Mieux vaut un esprit bien fait, qu’un esprit plein », c’est du Montaigne. Préparons le surhomme, c’est du Nietzsche. Et nous venons de voir ce que la religion de la vie doit à Gœthe et Spinoza. À ne conserver que les noms cités par Ellen Key elle-même, on ajouterait à cette liste une demi-douzaine d’autres inspirateurs.

Sur les points de détail, on se demande souvent si l’écrivain ne s’est pas trop facilité la tâche. Parfois Ellen Key semble apporter des exemples soigneusement choisis, des observations qui, si elles étaient parfaitement conformes à la réalité, réduiraient au silence ses adversaires. Mais le sont-elles ? Parfois on a l’impression d’enfoncer des portes qui ont été déjà ouvertes. Il suffirait de se rappeler, en France seulement, les critiques adressées à notre système d’éducation, ou bien au mariage et les efforts faits en vue de remédier à ces maux, pour ne trouver dans les diatribes d’Ellen Key, que des critiques venues après bien d’autres.

Puis ces inspirations diverses ne s’accordent pas toujours fort bien ensemble. À force de vouloir concilier trop de choses, on risque de présenter un tout dont les soudures restent trop visibles, à moins quelles ne fassent défaut. En tout cas il semble que la logique ait moins produit cette fusion, que le chaleureux enthousiasme d’une âme convaincue.

Mais précisément ce n’est pas du côté philosophique qu’il convient de chercher le mérite des œuvres d’Ellen Key et les causes de leur grand succès. Elles sont destinées avant tout à l’action. Elles valent surtout par le tempérament qu’elles révèlent. Même écrites, elles sont de vivants plaidoyers pour une cause ardemment aimée. Elles valent par la noblesse et la sincérité du sentiment, le courage d’une opinion brillamment soutenue. Et à tout prendre, si elles présentent des critiques souvent exagérées et proposent des solutions discutables, elles ne sauraient demeurer choses mortes : elles peuvent secouer bien des torpeurs, abattre bien des préjugés encore vivaces et préparer le terrain que viendra ensemencer un plus puissant « surhomme ».

Gaston Raphaël.