puisque je tenois mes terres par mes mains. Je montai à cheval, la canne à la main, pour aller trouver MM. les fourrageurs, et dans la plus belle disposition du monde pour en frotter quelques-uns si j’avois trouvé de la résistance ; mais aussitôt qu’ils me virent et qu’ils se furent informés qui j’étois, ils s’en vinrent à moi et me dirent : « Madame, nous nous étions mis dans vos grains pour fourrager, comme vous voyez ; mais nous allons sortir tout à l’heure pour aller chez vos voisins. » Je leur dis : « Vous me faites plaisir, » et leur demandai : « Êtes-vous cavaliers ou fantassins ? — Nous sommes l’un et l’autre, me dirent-ils. » Il y en eut deux qui s’offrirent pour garder ce qui m’appartenoit ; je les acceptai, et ils s’en acquittèrent fort bien. Je mis pied à terre pour voir de quelle façon ces bonnes gens travaillent quand ils pêchent en eau trouble. J’en voyois plusieurs qui se servoient de faux, d’autres de fléaux, d’autres de faucilles, d’autres de tonneaux pour battre le blé, d’autres qui portoient des trousses ; et la plupart étoient faits comme des démons. Je les quittai et m’en retournai chez moi. Par bonne fortune, ils ne demeurèrent pas longtemps où ils étoient ; tous les paysans s’en trouvèrent mieux ; mais il courait toujours quelque bruit sourd que les Lorrains revenoient. Cela m’inquiétoit fort. Néanmoins, il y eut des gentilshommes qui me dirent de ne me point mettre en peine, que l’on disoit qu’ils devoient aller du côté de Saint-Denis, et qu’ainsi no-
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