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Mémoires

en aller, pour abuser notre major. J’étois bien aise de les amuser toujours pour leur faire perdre temps et donner lieu à M. le maréchal de Turenne de se fortifier de plus en plus dans ses retranchements, qui étoient ceux que les Lorrains avoient faits auparavant[1]. Comme le major vit que le cavalier ne revenoit point, il revint à ma chambre sur les dix heures du matin et me témoigna son impatience ; et comme il étoit fort en peine de ce qui le retardoit un peu trop, disant que cela pourroit rompre des mesures, je lui répondis : « Si vous êtes en peine, je le suis aussi ; car je crois que ce misérable a perdu la vie et est présentement accroché à quelque arbre. » Sur les cinq ou six heures après midi le cavalier vint dans ma chambre, où le major étoit revenu. Aussitôt qu’il aperçut le cavalier, il lui dit avec un visage riant : « Hé bien ! mon camarade, que nous apprendrez-vous ? » Le cavalier répondit : « Rien du tout. Monsieur. Je ne suis point d’humeur à me faire pendre. J’ai bien songé à l’affaire ; je n’en ferai rien. » Le major se tourna de mon côté et me dit : « Madame, je suis un homme perdu. Que dirai-je à son Altesse ? » — « Vous lui direz. Monsieur, que celui qu’on avoit envoyé n’est point revenu, et qu’il faut qu’on l’ait fait mourir indubitablement. » Il sortit fort en colère, pestant comme un démon, en menaçant le

  1. Cette circonstance est fort exactement observée. Le maréchal de Turenne occupoit, en effet, le camp où le duc de Lorraine s’étoit retranché au mois de juin précédent, après le secours d’Étampes.