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Mémoires

qui m’appartenoit, et régler quelque petite affaire avec le fermier. Je montai sur un des chevaux de mon fils, et son valet de chambre sur un autre, et m’y en allai au petit galop. Quand j’eus mis pied à terre, je n’eus pas fait vingt pas que les deux pieds me manquèrent tout à la fois sur un petit morceau de glace que je n’avois pas aperçu. Je voulus me retenir à la muraille de la main droite, pour m’empêcher de tomber. Ma main glissa d’une certaine manière que j’en eus le bras démis, ce qui me fit ressentir des douleurs effroyables pendant sept semaines de temps. Il faut y avoir passé pour en pouvoir parler. Je craignois le bailleur comme la mort, qui me fit arrêter à un chirurgien de notre lieu que je croyois fort expérimenté et qui pensa me perdre. On me jeta dans un carrosse pour me ramener chez nous. Mon mari étoit dans la dernière colère et ne savoit à qui s’en prendre. Je fus tout ce temps-là sans fermer l’œil, quoique ce bon chirurgien fit tout son possible pour adoucir mes maux, venant tous les jours quatre fois me frotter de quelques huiles, et soutenant fortement que je n’avois rien de disloqué. Je ne manquois pas de gens qui me venoient faire des condoléances ; mais j’avois tout le mal et eux la compassion seulement. Ce pauvre bras s’étoit collé dans mon estomac et raccourci de moitié.

Quelque temps après, mon fils revint de la cour et me trouva en ce pitoyable état, dont il eut un sensible déplaisir ; et même quand il sut que j’avois