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Mémoires

sans frémir depuis la tête jusqu’aux pieds, car elles étoient si insupportables que je ne saurois les exprimer ; et le tout pour n’avoir pas été d’abord entre les mains d’un habile homme ! Je fus en cet état-là une heure entière. Je les priai mille fois de me relâcher, mais Mme Tronson s’y opposa fortement et dit : « Si nous la quittons, nous ne la retenons plus, et elle ne voudra jamais permettre qu’on la retouche. C’est pourquoi ne l’épargnons pas ; » et en disant ces paroles elle les encourageoit toujours de bien tirer. M. de Cuvilliers étoit tout en eau, comme si on l’avoit tiré de la rivière, ayant fait de très-grands efforts pour replacer l’os, en sorte qu’il n’en pouvoit plus. Il se jeta sur le plancher et dit à sa fille : « Tôt, tôt ! voilà l’os préparé. » Cette bonne demoiselle reprend vite la place de son père et y agit si adroitement que tout d’un coup l’os fut remboîté. Je croyois entrer en Paradis, car ma douleur diminua tout d’un coup. J’en ai l’obligation entière à Mme Tronson, car sans elle le bailleur m’auroit abandonnée, et mon mari y auroit consenti, ne pouvant plus me voir souffrir et étant comme demi mort. Quand les bandages furent faits, je demandai du vin pour boire à la santé de mes tyrans. Je pouvois bien les nommer ainsi, car ils m’avoient bien tirée et s’y étoient employés de bonne façon. Mme Tronson avoit tant de joie de voir l’affaire faite qu’elle ne se sentoit pas, étant la plus généreuse dame et la meilleure amie qu’il y ait au monde. Elle me l’a fait paroître