Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 1.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est décidé. Remplissez-vous bien l’estomac pour soutenir vos forces aussi long-temps que vous le pourrez ; car il y a beaucoup d’apparence que le repas que vous allez faire sera le dernier de votre vie ; à moins qu’ayant la conscience si tendre, vous ne soyez assez bien avec le ciel pour en obtenir des miracles. Si je sens quelque pitié, c’est pour les deux hommes qui doivent vous suivre. Je suis tenté de les prendre avec moi, et de vous laisser profiter seul des secours du ciel. » Quelques personnes de l’assemblée lui dirent que ces deux hommes s’exposaient volontairement à suivre leur maître, et qu’ils étaient résolus de partager toutes ses disgrâces. « Apparemment, reprit Russel, qu’il leur a rendu la conscience aussi délicate que la sienne. Vous verrez que le ciel ne refusera rien à de si honnêtes gens. »

Ces railleries furent continuées pendant le souper. À dix heures, Russel fit appeler quelques matelots qu’il avait nommés pour la garde de la felouque, et leur demanda s’ils avaient tout enlevé suivant ses ordres. Ils jurèrent qu’ils n’avaient rien laissé et qu’il n’y restait que de l’eau. « Comment, de l’eau ! reprit Russel en blasphémant ; ne vous avais-je pas donné ordre de vider tous les tonneaux ? Nous n’y avons pas manqué, répondirent-ils, et l’eau que nous avons laissée n’est que de l’eau de mer qui entre de tous côtés dans le bâtiment. » Cette réponse calma le cor-