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Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 29.djvu/120

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larmes, et M. King, qui commandait le canot, le vit pleurer durant toute la route.

» Je songeais avec un extrême plaisir que je l’avais ramené sain et sauf dans l’île où nous le prîmes autrefois ; mais telle est la bizarre destinée des choses humaines, que nous le laissâmes vraisemblablement dans une position moins heureuse que celle où il se trouvait avant de nous avoir connus. Je ne dis pas qu’accoutumé aux douceurs de la vie civilisée, il sera malheureux de ne plus les goûter ; j’établis mes conjectures sur un seul point : les avantages qu’il a tirés de nous ont mis sa sécurité personnelle dans une situation plus périlleuse. Ayant été très-caressé en Angleterre, il avait oublié sa condition primitive ; il ne pensa jamais quelle impression feraient sur ses compatriotes ses connaissances et ses richesses. Cependant les lumières de son esprit et ses trésors pouvaient seuls assurer son crédit, et il ne devait pas fonder sur d’autres moyens son élévation et son bonheur. Il paraît même qu’il connaissait mal le caractère des habitans des îles de la Societé, ou qu’il avait perdu de vue, à bien des égards, leurs coutumes ; autrement il aurait senti qu’il lui serait d’une difficulté extrême de parvenir à un rang distingué dans un pays où le mérite personnel n’a peut-être jamais fait sortir un individu d’une classe inférieure pour le porter à une classe plus relevée. Les distinctions, et le pouvoir qui en est la suite, semblent être fondés ici sur le rang.