Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/156

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» Si j’ai quelquefois donné le nom de miracles aux secours que j’ai reçus du ciel dans l’extrémité du danger, c’est ici que je dois faire admirer le plus éclatant de ses bienfaits. De plusieurs Portugaises qui avaient trouvé la fin de leur misérable vie depuis notre naufrage, il en restait une femme d’un pilote qui était prisonnier avec nous, et mère de deux enfans qu’une malheureuse tendresse lui avait fait prendre à bord. Un sentiment de pitié pour elle et pour deux innocens avait porté une dame de la ville à la loger dans sa maison, et cet asile était devenu pour nous une source de bienfaits, que nous avions partagés continuellement avec son mari. On lui apprit notre malheur ; elle fut si frappée de cette nouvelle, qu’étant tombée sans connaissance, elle demeura long-temps comme insensible ; mais, rappelant ses esprits, elle se déchira si cruellement le visage avec les ongles, que ses joues se couvrirent de sang. Ce spectacle attira toutes les femmes de la ville, et la compassion devint un sentiment général. Après quelques délibérations, elles convinrent d’écrire une lettre en commun à la reine, mère du roi, pour lui représenter que nous étions condamnés sans preuves et sur la simple foi d’un ennemi. Elles lui rendaient compte de notre véritable histoire, et des raisons qui portaient le corsaire à la vengeance. L’aventure de la Portugaise, sa situation et celle de ses enfans, ne furent pas oubliées. Cette lettre, signée de cent femmes,