Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/18

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misérables, que nous entendîmes crier six ou sept fois : Seigneur Dieu ! miséricorde ! Je pressai nos matelots de les secourir. Ils tirèrent successivement du milieu des flots, quatorze Portugais et neuf esclaves, tous si défigurés, que leur visage nous fit peur, et si faibles, qu’ils ne pouvaient se soutenir. On se hâta de leur donner des secours qui rappelèrent leurs forces. Lorsqu’ils furent en état de parler, l’un d’eux nous dit qu’il se nommait Fernand Gil Porcalho ; qu’ayant été dangereusement blessé à la tranchée de Malacca, dans la seconde attaque que les Portugais avaient soutenue contre les Achémois, don Étienne de Gama, qui commandait alors dans cette ville, et qui avait cru devoir quelque récompense à son courage, l’avait envoyé aux Moîuques avec divers encouragemens pour sa fortune ; que le ciel avait béni ses entreprises jusqu’à le mettre en état de partir de Ternate dans une jonque chargée de mille barres de poivre qui valaient plus de cent mille ducats ; mais qu’à la hauteur de Surabaya, dans l’île de Joa, il avait eu le malheur d’essuyer une furieuse tempête, qui avait abîmé sa jonque et tout son bien ; que, de cent quarante-sept personnes qu’il avait à bord, il ne s’en était sauvé que les vingt-trois qui se trouvaient sur le nôtre ; qu’ils avaient déjà passé quatorze jours sur leurs planches, sans autre nourriture que la chair d’un esclave cafre qui leur était mort, et qui avait servi pendant huit jours à soutenir leurs forces.