Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/234

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peine à me défendre moi-même du désespoir que je reprochais aux autres. J’entendais dire autour de moi : Hélas ! si nous étions à terre, nous paîtrions du moins l’herbe comme les bêtes. Je ne laissai pas de renouveler continuellement mes exhortations ; mais la force commença le lendemain à nous manquer autant que le courage. La plupart n’étaient presque plus capables de se lever du lieu où ils étaient assis, ni de se tenir debout. Rol était si abattu, qu’il ne pouvait se remuer. Malgré l’affaiblissement que m’avaient dû causer mes blessures, j’étais encore un des plus robustes, et je me trouvais assez de vigueur pour aller d’un couvert de la chaloupe à l’autre.

« Nous étions au second jour de décembre, qui était le treizième depuis notre naufrage. L’air se chargea ; il tomba de la pluie qui nous apporta un peu de soulagement. Elle fut même accompagnée d’un calme qui permit de détacher les voiles des vergues, et de les étendre sur le bâtiment. On se traîna par-dessous. Chacun but de l’eau de pluie à son aise, et les deux petits tonneaux demeurèrent remplis. J’étais alors au timon, et, suivant l’estime, je jugeai que nous ne devions pas être loin de la terre. J’espérais que l’air pourrait s’éclaircir tandis que je demeurais dans ce poste, et je m’obstinais à ne le pas quitter. Cependant l’épaisseur de la brume et la pluie qui ne diminuait pas me firent éprouver un air si vif, que, n’ayant plus le pouvoir d’y résister, j’ap-