Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/233

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Je me tournai du côté du ciel pour le conjurer de ne pas permettre qu’on exerçât cette barbarie, et que nous fussions tentés au-dessus de nos forces, dont il connaissait les bornes. Enfin j’entreprendrais vainement d’exprimer dans quel état je me trouvai lorsque je vis quelques matelots disposés à commencer l’exécution et résolus de se saisir des jeunes gens. J’intercédai pour eux dans les termes les plus touchans. « Amis, qu’allez-vous faire ? quoi ! vous ne sentez pas l’horreur d’une action si barbare ? Ayez recours au ciel, il regardera votre misère avec compassion. Je vous assure que nous ne pouvons pas être loin des terres. » Ensuite je leur fis voir le pointage de chaque jour, et quelle avait été la hauteur.

» Ils me répondirent que je leur tenais depuis long-temps le même langage, qu’ils ne voyaient point l’effet des espérances dont je les avais flattés, et qu’ils n’étaient que trop certains que je les trompais ou que je me trompais moi-même. Cependant il m’accordèrent le délai de trois jours, au bout desquels ils me protestèrent que, s’ils ne voyaient pas les terres, rien ne serait capable d’arrêter leur dessein. Cette affreuse résolution me pénétra jusqu’au fond du cœur. Je redoublai mes prières pour obtenir que nos mains ne fussent pas souillées par le plus abominable de tous les crimes. Cependant le temps coulait, et l’extrémité me paraissait si pressante, que j’avais