Page:La Harpe - Abrégé de l’histoire générale des voyages, tome 5.djvu/27

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de nous prendre avec eux ; mais ils paraissaient disposés à passer sans nous répondre, ce qui nous fit redoubler nos cris et nos gémissemens. Alors une vieille femme sortie du fond de la barque fut si touchée de notre douleur et des plaies que nous lui montrions, qu’elle prit un bâton dont elle frappa quelques matelots ; et, les faisant approcher de la rive, elle les força de nous prendre sur leurs épaules, et de nous apporter à ses pieds. Sa figure n’était distinguée que par un air de gravité qui faisait reconnaître le pouvoir qu’elle avait sur eux ; elle nous fit donner tous les secours qui convenaient à notre misère ; et tandis que nous mangions avidement ce qu’elle nous présentait de sa propre main, elle nous consolait par ses exhortations. Je savais assez le malais pour l’entendre. Elle nous dit que notre désastre lui rappelait tous les siens ; que son âge n’étant que de cinquante ans, il n’y en avait pas six qu’elle s’était vue esclave et volée de cent mille ducats de son bien ; que cette infortune avait été suivie du supplice de son mari et de ses trois fils, que le roi de Siam avait fait mettre en pièces par ses éléphans ; et que, depuis des pertes si cruelles, elle n’avait mené qu’une vie triste et languissante. Après nous avoir fait le récit de ses peines, elle voulut être informée des nôtres. Ses gens, qui écoutèrent aussi notre malheureuse histoire, nous dirent que la grande jonque, dont nous leur fîmes la peinture, ne pouvait être que celle de