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ble contre l’île que nous avions quittée. Nous manquions de câbles, et ceux que nous avions encore étaient à demi pouris. Aussitôt après que la mer avait commencé à s’enfler, et que le vent du sud nous eut pris à découvert en traversant la côte, l’idée du péril qui nous menaçait nous avait fait couper les mâts, et jeter dans les flots quantité de marchandises. Mais la nuit devint si obscure, le temps si froid et l’orage si violent, que, n’espérant plus rien de nos propres efforts, nous fûmes réduits à tout attendre de la miséricorde du ciel. Elle n’était pas due sans doute à nos péchés. Vers deux heures après minuit, un épouvantable tourbillon jeta nos quatre vaisseaux contre la côte, et les brisa sans y laisser une planche entière.

» Il y périt cent quatre-vingt-six hommes. À la pointe du jour, nous nous trouvâmes sur le rivage au nombre de cinquante-trois, entre lesquels nous n’étions que vingt-trois Portugais, moins étonnés de notre naufrage que de nous voir à terre, sans savoir à quel hasard nous avions l’obligation de notre salut. Heureusement Faria fut un de ceux à qui le ciel avait conservé la vie. Nous vîmes avec autant d’effroi que de pitié les cadavres de nos compagnons et de nos amis, dont le bord de la mer était couvert. Faria, déguisant sa douleur, nous exhorta par une courte harangue à ne pas perdre l’espérance. Quoique l’île fût déserte, il nous promit que le bois et le rivage nous