» Les Portugais, y étaient arrivés huit jours ayant nous, après avoir encore plus souffert. Un père portugais, de l’ordre de saint Augustin, qui accompagnait par ordre du roi les ambassadeurs destinés à la cour de Portugal, nous fit de leurs peines une peinture qui nous tira les larmes des yeux. Un tigre, nous dit-il, aurait eu le cœur attendri des cris et des gémissemens de ceux qui tombaient au milieu de leur marche, également accablés de douleur et de faim. Ils invoquaient l’assistance de leurs amis et de leurs proches. Tout le monde paraissait insensible à leurs plaintes ; la seule marque d’humanité qu’on donnait en les voyant tomber, était de recommander leur âme à Dieu. On détournait les yeux, on se bouchait les oreilles pour n’être pas effrayés par les cris lamentables qu’on entendait sans cesse, et par la vue des mourans qui tombaient presque, chaque heure du jour. Ils avaient perdu dans ce voyage, depuis qu’ils nous eurent quittés, cinquante ou soixante personnes de tout âge et de toute condition, sans y comprendre ceux qui étaient morts auparavant, parmi lesquels était un jésuite déjà vieux et fort cassé.
» Mais le plus triste accident qu’on puisse s’imaginer, et dont on n’a peut-être jamais eu d’exemple, fut celui qui arriva au capitaine du vaisseau. C’était un homme de qualité, riche et d’un caractère vertueux : il avait rendu des services considérables au roi son maître, qui estimait sa valeur et sa fidélité. Je ne puis me