En arrivant à la ville de Suen-cheu, Navarette admira beaucoup la grandeur extraordinaire de cette ville : d’une éminence voisine, on la prendrait pour un petit monde. Ses murs avaient été ruinés pendant le siège des Tartares ; mais l’empereur les fit rebâtir en moins de deux ans : entreprise, suivant Navarette, qu’aucun prince l’Europe n’aurait pu exécuter en moins de cinq ou six années.
Deux lieues au delà de Suen-cheu, Navarette et ses compagnons arrivèrent au célèbre pont de Loyung, qui tire ce nom d’un port voisin. Ce pont fut un spectacle admirable pour lui. Un gouverneur, nommé Kay-yung, le fit bâtir sur un bras de mer navigable, où quantité de passans périssaient tous les jours. Sa longueur est de mille trois cent quarante-cinq grands pas ; il porte sur environ trois cents piliers carrés, qui ne sont pas formés en arches, mais plats et couverts de belles pierres de plus de onze pas de longueur. Les deux côtés sont bordés de belles balustrades, sur lesquelles on voit, à d’égales distances, des globes, des lions et des pyramides. La pierre est d’un bleu très-foncé. Quoique l’eau ait beaucoup de profondeur, et que cet édifice, qui est bâti sans chaux, ait déjà duré plusieurs siècles, il ne court aucun danger, parce que toutes les pierres sont à mortaise. Il supporte cinq belles tours qui sont placées à distances égales, et des portes également capables de défense par leurs fortifications et le nombre de soldats qui les gardent.