Page:La Harpe - Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne, tome 5.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gards des hommes de sens ; comme dans une nuit obscure des voyageurs égarés tournent les yeux vers le point de l’horizon d’où l’on verra renaître le jour.

Quoiqu’on ait observé, avec raison, que le règne des arts a toujours été, chez les anciens comme chez les modernes, attaché à des temps de puissance et de gloire, il paraît cependant que, pour fonder et perpétuer ce règne, ce n’est pas une cause suffisante que la prospérité d’un gouvernement affermi. On en avait la preuve dans cette période de plus de quatre-vingts ans qui s’écoula depuis Trajan jusqu’au dernier des Antonins, sous des souverains comptés parmi les meilleurs dont le monde ait conservé la mémoire. L’histoire remarque que les nations furent alors aussi bien gouvernées qu’elles pouvaient l’être, parceque la vertu était sur le trône avec une philosophie qui se piquait d’être éminemment morale et religieuse, comme celle de notre siècle s’est piquée de n’être ni l’un ni l’autre. La vertu régna comme la loi : la terre fut heureuse, et le génie fut muet. Il y eut encore quelques hommes d’esprit et de goût, tels que le critique Longin, le moraliste satirique Lucien, et, par suite, des historiens du second ordre, tels qu’Ammien Marcellin, Hérodien et d’autres ; mais, dans l’éloquence et la poésie, Rome et la Grèce étaient réduites aux déclamateurs et aux sophistes, les uns occupés à vendre des louanges, les autres enfoncés dans les disputes de l’école.

Cependant, vers le milieu du quatrième siècle, lorsque l’empire romain, chancelant sous le poids de sa grandeur, était forcé de se partager pour se soutenir ; lorsque Rome n’était déjà plus la seule capitale du monde, quand les ressorts de l’autorité étaient affaiblis, quand les barbares menaçaient de tous côtés le peuple dominateur et corrompu, qui ne se défendait plus que par sa discipline militaire, une éloquence nouvelle naquit avec une nouvelle religion, qui, des prisons et des échafauds, venait de monter sur le trône des Césars.