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Page:La Harpe - Lycée ou cours de littérature ancienne et moderne, tome 5.djvu/8

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Cette voix auguste et puissante était celle des orateurs du christianisme ; et le cercle des préjugés particuliers rétrécit tellement les idées, que peut-être entendra-t-on ici avec quelque surprise des noms qui ne sont guère plus cités parmi nous que dans les chaires évangéliques, et qu’on s’étonnera de voir au rang des successeurs de Cicéron et de Démosthènes des hommes en qui l’on est accoutumé de ne voir que les successeurs des apôtres[1]. Mais, sans blesser le respect qu’à ce dernier titre doivent tous les chrétiens aux Basile, aux Grégoire, aux Chrysostome, je puis les considérer ici principalement sous le rapport des talents et du génie. Pourquoi faudrait-il détourner les yeux quand nous rencontrons ces grands hommes à la place qu’ils doivent occuper dans le ta-

  1. Dans le compte qu’a rendu de cette séance un des coopérateurs des Nouvelles politiques, distingué par sa touche spirituelle et fine, il est dit que ce morceau a fait Ianguir un moment l’attention, et qu’il aurait été applaudi il y a ving ans. Je puis attester que ce même morceau, où je n’ai rien changé, fut applaudi en 1788. Ce n’est pas qu’il y eût alors plus de religion qu’aujourd’hui : il y en avait moins ; mais c’était une autre espèce d’incrédules : ceux d’alors l’étaient de la façon de Voltaire ; ceux d’aujourd’hui le sont de la façon de Chaumette et d’Hébert. Les hommes instruits sentaient que l’orateur remplissait une partie essentielle de son sujet, en examinant une époque aussi remarquable que celle de l’éloquence chrétienne, la seule qui fût connue dans le monde pendant plusieurs siècles. Ils savaient qu’il n’était pas impossible qu’on fût un saint, et pourtant qu’on ne fût pas un sot ; qu’on pouvait louer le génie et les vertus d’un saint, même sans être dévot, comme Voltaire a loué saint Louis ; qu’on pouvait aller jusqu’à nommer saint Augustin et saint Chrysostome sans faire une capucinade. Au reste, ce que j’en dis n’est pas pour me plaindre ; au contraire, c’est pour nous féliciter de nos progrès. Du temps de Joseph Lebon, celui qui aurait nommé un saint eût été égorgé sur-le-channp ; aujourd’hui les athées jacobins se contentent de crier à la dévotion, en attendant mieux. Quel pas nous avons fait !