Page:La Jeune Belgique, t1, 1881.djvu/81

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Elle recommence.

Elle enfile une nouvelle gamme.

L’autre répète.

La Catalini devient livide. Une sueur froide l’inonde. Sa gorge s’oppresse et siffle. Et le théâtre semble tourner confusément autour d’elle, avec ses étages de figures ironiques et grimaçantes.

Qu’importe ! Elle se roidit, ébauche un sourire qui navre, — et poursuit son air. Chaque note, chaque vocalise a son écho. L’autre réplique, plus haut, plus haut, toujours plus haut. Et quand la prima donna assoluta, la poitrine en feu, la bouche tirée, les yeux révulsés, atteint le contre-ré final, elle veut s’unir à l’autre trillant sur le contre-fa, — se hausse sur la pointe des pieds, pousse un cri rauque, bat l’air de ses mains raidies, et tombe morte sur le plancher.

Albert Giraud




PÂQUES-FLEURIES


Il y a de cela bien longtemps, bien longtemps, dans les environs de la bonne ville d’Alençon, s’élevait un superbe château. Tout comme dans les Contes de fées, il était habité par une vieille dame, que sa maturité avancée n’avait ni aigrie ni fanatisée, qui trottinait comme une enchanteresse bienfaisante au milieu de ses domestiques et vassaux, et qui soupirait en se rappelant son jeune temps, lorsqu’elle voyait, dans un coin de l’office, le cocher embrasser bruyamment la camériste. Son manoir offrait une vague ressemblance avec nos agences matrimoniales actuelles. La vieille marquise avait cette manie innocente de faire des mariages. Les amours des palefreniers, cuisinières, laquais et chambrières trouvaient un dénoûment invariable dans le boudoir bleu damassé et dans l’oratoire du château, où tour à tour comparaissaient les coupables.

Vous comprenez que, pour que ses efforts fussent couronnés de succès, il fallait le consentement mutuel des deux parties. Or, il était un cas où toutes ses tentatives étaient restées vaines. Depuis trois ans, elle avait Ursule comme femme de chambre, et elle n’était pas encore parvenue à la « placer. » Disons bien vite, à la décharge de son habileté, que la pauvre Ursule avait le dos agrémenté d’une bosse de dimension respectable. Aussi, elle était le jouet de tous les domestiques qui se succédaient au château. Comme, malgré sa bosse, elle était très-bonne, elle pleurait en secret et ne disait rien. Elle regardait d’un air tout triste la jolie Suzon faire les yeux doux au gros Philippe. Elle essaya de s’adresser de la même manière à Michel, l’aide-jardinier. Mais celui-ci le raconta à ses collègues des deux sexes. On se moqua tellement de la pauvre fille qu’elle dut se sauver dans sa chambrette. Elle avait compris. Ursule était une petite