Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/130

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—122— silence de malade : des cris, des chocs de briques heurtées pour construire, des abois, des sifflets de trains venaient heurter l'atmosphère teintée de douceur de mes rêveries ; et cette force de travail continu avait comme une ironie et un reproche. Le chant des oiseaux me laissait tout affaibli d'extase. Le chaud été venu, Elle m'attendit là-bas, et moi, dans ma pensée, je composais bellement le cher cadre de notre bonheur à nous revoir : ce serait sans doute auprès de quelque bois aux feuillages bleus d'ombre et où des mousses d'émeraude baiseraient étroitement les pieds des grands arbres. Alors je vins en août. C'était un midi quand j'arrivai et de suite, loin de la maison, elle m'emmena vers les champs. Nous nous assîmes auprès d'un pré jaune dont on avait fauché et emporté les épis et où seulement restaient les tiges à ras du sol. L'anémie de l'heure fauve régnait partout et la chaleur vacillait lourdement au-dessus de la terre. Dans l'air brûlant passait, pareille à de lointains pleurs, la fuite bourdonnante des grosses mouches. Moi je souffrais d'un mal bleu et torturant et je disais à ma mignonne : « Pardonne si je suis triste, si je pleure même : je ne t'ai pas encore retrou vée. Il me semble que j'attends quelqu'un de très aimé dans une gare affo lante de force et de bruit. Je nous voudrais dans quelque terre aride dont j'ai la poignante nostalgie, ou en quelque blanc Sénégal dont la végétation fut moins lourde de sève et moins hostile à mon inquiète joie... » Quand la nuit fut venue, nous sortîmes encore du parc et, par les routes grises, sous la blanche lumière, nous marchions doucement liés. D'immenses pâturages prenaient les prés d'un côté et des chevaux immobiles, leurs tristes têtes appuyées aux barrières de bois, nous regardaient passer, tandis que flottaient doucement leurs crinières blanches sous les rayons. Elle s'ar rêta près de l'un d'eux et unit à sa lourde tête, aux yeux penseurs presque, son précieux front auréolé de cendres d'or. Elle le tenait longtemps caressé, tout heureuse de se trouver bonne et l'appelant : « Mon pauvre ami ! » Et puis, quand nous vînmes près du fleuve tranquille tout purifié de blanches nappes, Elle eut le caprice de dormir dans l'herbe devant le mutisme de ses flots ; sur nos visages et parmi nos cheveux baignés de brises, venaient comme en une caresse les mains lustrales des rayons immenses. Avant de s'étendre en mon manteau, elle regarda les champs noyés de brumes et les lointaines buées des horizons de mystère, et elle écouta, atten tive au moindre bruissement, le large battement du silence grandiose, puis sa voix d'air laissa tomber ces mots : — « On dirait que la terre respire... n Ensuite elle se coula dans la sombre étoffe étendue sous elle et s'endormit un peu; agenouillé près d'elle, je la veillais tendrement sous les froides