Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/136

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—128— La citation est un peu longue encore qu'incomplète. Cest pourquoi je vous épargne Auguste Rodin. Je le réserve pour une autre livraison, si notre ami Pierrot insiste. Et je le préviens que je tiens à sa disposition une liste d'artistes qui ne sont pas du tout de Lilliput, que je me flatte d'avoir mis à leur rang, que je me fais honneur d'avoir salués, et précisément parce qu'ils ne sont pas des œuvrettistes. Voulez-vous que je vous dise? Giraud ne m'a pas lu. C'est peut-être humiliant pour moi, mais ce n'est pas une absolution pour lui, pour ses jugements téméraires et sa critique calomnieuse. Ma critique littéraire? Mon Dieu, j'en fais bon marché. Ce n'est pas ma spécialité, si toutefois j'en ai une, ma spécialité étant plutôt de n'en point avoir. Je ne suis pas un critique littéraire : je tiens aussi la critique littéraire. Giraud me traite de chroniqueur frotté de littérature et d'art, détestant dans chaque écrivain l'artiste que j'aurais rêvé d'être. Que signifie ce charabia? Je ne sais pas si je suis ou ne suis pas un artiste. Je sais que je suis un journaliste, un professionnel, faisant tout ce qui concerne son état, un polémiste politique s'ouvrant des jours de différents côtés pour aérer sa polémique et esquiver l'asphyxie électorale. Je sais que j'ai toujours ambitionné la maîtrise de mon métier, et je sais que dans ce métier qui est le mien et que j'aime — alors que d'autres qui en vivent affectent de s'y résigner en déclassés du Parnasse pour avoir déposé de-ci de-là sur de rares papiers de Hollande quelques vers huileux et transpirants — j'ai obtenu déjà quelques succès, notamment certain jour où je vis mon ami Pierrot, après avoir raillé, turlupiné, flétri une incartade de votre serviteur, s'y rallier au lendemain du succès, avec une souplesse et une platitude que j'admire encore. Êtes-vous sûrs là-bas, vous autres, que je ne suis pas un artiste à ma manière dans les données de ce métier-là? Et si je l'étais, pourquoi diable vous envierais-je votre art de petite lècherie versiculaire dont je n'ai jamais rêvé pour mon compte et pourquoi vous empécherais-je de vous y épanouir à votre aise? Qu'est-ce que ça peut me faire, je vous le demande? Mon métier est mon art, mon talent si j'en ai. Mais il y a la Princesse Maleine, la grande obsession de notre fin de siècle ! Il est certain que je ne l'ai pas faite. Mais permettez : Giraud non plus. Verhaeren pas davantage. Eekhoud encore bien moins. II paraît qu'ils sont ravis tout de même. Moi, ça ne m'étonne pas que je ne l'aie pas faite. Alors pourquoi serais-je plus agacé qu'eux? Il est certain aussi que dans le supplément littéraire de l'Indépendance belge, citant une scène de la Princesse Maleine, et rappelant l'article sensationnel d'Octave Mirbeau et le célèbre « plus fort que Shakespeare », j'ai osé risquer cette parenthèse : « Est-ce un pavé? » On me le reproche ce pavé, échappé sans doute de mon volcan au vinaigre — une trouvaille de Pierrot en goguette. — On me le reproche, mais on le ramasse. De l'inoubliable pavé, d'habiles exploitants tirent toute une carrière. Désormais, ce n'est plus assez de s'entrelouer, si l'on ne jette, aux pieds des idoles de l'admiration mutuelle, les cadavres de quelques-uns de ces morts qu'il faut qu'on tue. C'est ainsi qu'à Maeterlinck plus fort que Shakespeare, ont succédé Demolder plus fin que Rabelais, Hubert Krains rival heureux de Flaubert et Mérimée, sans parler de Georges Eekhoud plus fort que Zola, naturellement. Encore un mort! C'est ainsi que l'orphéonismc littéraire de la Ligue des Gosses s'est annexé un Quenast en syndicat pour lançage de pavés d'ours. Et c'est ainsi enfin qu'après tant de plusfortquistes — le mot est de Maurice Kufferath plus fort que Tardieu — nous verrons bientôt ce comble énorme, invraisemblable : Iwan Gilkin plus fort que Giraud. Impossible l