Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/188

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—18o— il, d'une bien jolie intelligence, car dans l'amour il y a en effet une part de domesticité et une part de poésie; c'est en outre d'une merveilleuse économie sociale. » Le petit morceau est charmant, et j'en suis ravi. Mais mon ravissement ressemble fort à celui que j'éprouve devant un joli bavardage de salon. J'entends d'ici les Bélises et les Philaminthes des deux sexes se pâmer déli cieusement, et je vois toute une volière de « perruches infectieuses » célébrer les grâces du spirituel narrateur. M. Maurice Barres s'excuse d'avance, il est vrai, en plaignant les mal heureux qui n'ont pas « le don du sourire. » Mais son enseignement abuse un peu de ce don-là. Et puis, M. Barrès est-il certain que ses anecdotes ne convertissent pas au sourire ceux que sa propagande idéologique était en passe de persuader ? L'auteur du Jardin de Bérénice parle avec complaisance de son dégage ment d'esprit. Les hommes ordinaires, dit-il, entourent le sceptique, mais « le sceptique en tire des jouissances extrêmement fines». Je pense que M. Barrès a tiré quelques jouissances de cette nature de son incorporation dans la bande boulangiste, de son séjour au Palais-Bourbon, et de l'organi sation du banquet Moréas. Il a beaucoup d'esprit et de finesse, M. Barrès, même quand il laisse entendre qu'il le. sait ; il en a trop, malheureusement, pour le rôle qu'il veut jouer. Quand ils ont tant d'esprit, les apôtres ne convertissent guère, et leur enseignement n'est qu'une forme nouvelle du dilettantisme. S'imagine-t-on Tolstoï dans une potinière, et s'inquiétant de la façon plus ou moins ingénieuse dont un vieux roquentin fait entretenir sa maîtresse par l'Académie ? M. Barrès s'est déshabillé dans son petit bréviaire. Il m'apparaît à la fois comme un naïf et comme un roué, et sa rouerie consiste à tirer parti de sa naïveté. Au fond, il s'amuse, et comme il l'avoue lui-même, il a trouvé un joujou. Il est vrai que, dans sa pensée, ce joujou est destiné aux esprits légers qui ne peuvent se satisfaire que dans le monde des apparences. Mais de ces esprits-là, même pour le meilleur philosophe, il y en a toujours un de plus qu'il le croit.

M. Alfred Lavachery, l'auteur des Lourty, n'a aucun dédain pour le monde des apparences. Les études de mœurs wallonnes visent à l'exactitude matérielle la plus scrupuleuse. Il a la même conscience à noter les détails les plus insignifiants de l'existence que les peintres de l'école néerlandaise. Mais il lui manque la volupté de la couleur. M. Lavachery a la vision sèche, nette et sans fièvre. Il dessine avec une remarquable probité linéaire des choses et des êtres auxquels il donne, par sa sincérité d'observateur, une réalité de vie. Ils existent, ces Lourty, ces personnages presque fongibles, et dont la médiocrité même était un obstacle pour le romancier. Simon Lourty, je l'ai rencontré mille fois sans le remarquer. Aujourd'hui, je me le rappelle. Ce fils de paysan devenu rond-de-cuir, et sa mère, l'âpre et osseuse fer