Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/187

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—i79— manifesté, à demi-mot, un tranquille mépris pour la religion des imbéciles. Il ne s'adresse pas à tous, officiellement, revêtu d'un uniforme, comme son père spirituel. Il recherche l'attention de quelques-uns, sans ameuter la masse, et il leur chuchote à l'oreille l'évangile confidentiel qu'il a composé. M. Ernest Renan, s'il lisait par-dessus son épaule, ne manquerait pas de le faire remarquer : rien n'attire mieux l'attention que certaines conversations à voix basse, et il est des chuchotements de propagande qui sont d'un effet plus sùr que les plus pompeux boniments. M. Maurice Barrès a-t-il cette arrière-pensée? Je n'oserais pas répondre non. Quoi qu'il en soit, même s'il usait de cette méthode malicieuse, et si son idéal, malgré les apparences, était mélangé d'égoïsme savant, cet idéal dépasserait encore, de beaucoup de têtes, l'idéal médiocre et mesquin de M. Renan. Non que je prétende mettre en balance les travaux de ce dernier avec les petits catéchismes de M. Maurice Barrès; mais l'influence du jeune docteur évangélique ne sera jamais aussi désastreuse que celle de M. Renan. Les doctrines de M. Barrès sur l'existence du Moi et sur sa perfection dési rable sont des effusions fort nobles, mille fois plus élevées que les coquet teries philosophiques de M. Renan. Et elles ne perdraient pas ce caractère d'élévation et de noblesse, même s'il était démontré que M. Maurice Barrès manque parfois de sincérité. Toute licence sauf contre l'amour est un petit bréviaire, très coquet, où M. Barrès examine les prétendues antinomies de la pensée et de l'action. Il conclut que ces antinomies n'existent pas, puisque le moi seul existe, et que la pensée est la seule action. C'est pourquoi il met la jeunesse en garde contre l 'enrégimentement , funeste à tout individualisme, à tout développement de conscience, et par conséquent à tout perfectionnement intellectuel et moral. M. Barrès conclut par un éloge du scepticisme, qui est un acheminement vers l'affirmation et vers la formule qui sert de titre au bréviaire : Toute licence sauf contre l'amour. M. Maurice Barrès ajoute, en traduction : « Ne chagrinez aucun être ». La leçon est malheureuse, et elle rapetisse singulièrement l'idée de l'amour. « Chagriner » est ici d'un emploi déplorable, et la philosophie qui réduit l'Amour au scrupule de « chagriner » me paraît un peu puérile. C'est une conception de jolie femme ou d'enfant gâté. M. Maurice Barrès a souvent de ces conceptions lilliputiennes. Même dans la meilleure partie de son dernier évangilet, un éloge du scepticisme qui ne manque ni d'éloquence ni de justesse, il tombe parfois dans des pué rilités anecdotiques, et risque, de-ci, de-là, une vocalise malicieuse, mais diminuante, et qui pourrait émaner d'un boulevardier de M. Meilhac, si elle ne semblait appartenir à un clubman de M. Halévy. C'est ainsi que M Maurice Barrès caresse son ironie à cette délicieuse invention d'un membre de l'Institut : « Ayant une maîtresse, il ne lui donne pas un sou de l'année, mais il la fait couronner à chaque séance annuelle des cinq académies: une année, cinq mille francs par l'Académie des sciences morales (prix des vieux servi teurs), et l'autre année, trois mille francs (prix de poèsie). Cela est, ajoute-t