Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/197

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—189— s'est fait cette année, en hommage funèbre, pour Georges Seurat. A quoi bon discuter encore le procédé qu'il inaugura et les théories sur la signifi cation des tons, des teintes et de la direction des lignes qu'il ne fit qu'ébaucher? Certes son esprit compréhensif et délié ne se fût pas contenté longtemps des aphorismes non dégrossis, présentés en blocs compacts, sur lesquels il tenta d'édifier des compositions comme le Chahut, le Cirque, la Parade, qui ne sont pas ce qui nous satisfait le plus chez lui : car tout à la fois l'intention dogmatique s'y manifeste trop et le résultat obtenu 'y est trop mince. Nous ne mentionnons ces œuvres que par ce qu'elles décèlent de science, de rigueur, de froide volonté. On sent chez Seurat la patience tenace des croyants et des passionnés d'art. Il fut un consciencieux dans toute la force du terme, qu'on a si souvent employé comme un compliment pas trop flatteur à l'adresse des peintres dont on ne sait que dire : et pour tant le mot mériterait d'être nettoyé de la banalité qui le rouille et réservé aux probes artistes, durs critiques d'eux-mêmes, recommenceurs jamais lassés, obstinés laborieux qui ne se pardonnent pas une défaillance, tels que fut Seurat. Ses nus, comme ses Poseuses et sa Baignade, qui ne fut pas exposée à Bruxelles, mais dont on a pu voir une étude excellente, affirment un des sinateur, un modeleur de grand style et d'une irréprochable précision. Que Seurat se soit prouvé dessinateur du mouvement, nous ne le croyons pas : dans le Chahut, dans le Cirque, où tout devrait tourbillonner, tout apparaît suspendu, figé, comme dans un instantané photographique. Le calme et l'immobilité lui conviennent beaucoup mieux, et il y a en lui de la ligne statuaire d'un Ingres et d'un David. S'appliquant à des sujets naturalistes, en faveur au moment où il survint et où il n'eût sans doute pas persisté, il cherche, au delà de la reproduction de la nature telle quelle, un système de formes nobles, une impression d'ensembles gracieux. La femme assise vue de dos, la femme montrée de profil dans les Poseuses sont des figures déli cieuses, et même dans la femme debout qui est au milieu, bien que la tête soit vulgaire et les genoux cagneux, il y a un charme d'ingénuité gauche, de simplicité discrète que l'artiste a profondément ressenti. Les paysages maritimes de Seurat, qui expriment tous la paix mélanco lique des larges espaces, marquent moins de préoccupations géométriques, empruntées à M. Charles Henry, que ses derniers tableaux de figures. Il y apparaît coloriste froid et sec si on le compare aux Flamands, mais très exact et juste notateur des colorations du pays qu'il a peint : les rives de la Seine, les embouchures, les rades, les ports, les canaux de Normandie et de Picardie. Dans le Soir à Honfleur, avec ses eaux lustrées de lumière, dans le Crotoy, dans Port-enBessin, marée haute, dans le Chenal de Grave- lines, un soir, dans d'autres œuvres encore, il atteint à des effets étonnants de finesse, de limpidité, de transparence, de recul d'horizon. M. Signac est membre des XX; mais en sa qualité d'étrarger et de pro tagoniste du mouvement néo-impressionniste français, on doit le ranger parmi les invités. Aux teintes tendres, affaiblies et mourantes de Seurat, s'oppose chez lui une énergie retentissante, une accentuation vigoureuse;