Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

—2o4— Près d'elle, voici l'âne : à ses oreilles mornes Grelottent des bijoux sonores et légers; Et le bœuf, dont ils ont doré les vieilles cornes. Regarde par-dessus la tête des bergers. Le silence est profond. Par la fenêtre ouverte Entre, avec la chanson des lointains chameliers, Tout le faste étoilé d'une nuit bleue et verte Où des dos de chameaux frôlent les grands palmiers. Et dans leur palanquin, porté par des esclaves, Sur des peaux de lion, d'once et de léopard, Dans un brouillard de myrrhe et d'encens, lents et graves. S'avancent Baltha\ar, Melchior et Gaspard. Leur front vaste est griffe de rides solennelles ; Contre l'absurde espoir leur cœur est cuirassé; On voit naître et mourir dans leurs froides prunelles L'avenir monotone et semblable au passé. Sans curiosité, sans trouble, sans surprise, Ils contemplent le frêle enfant prédestiné. Et, pliant les genoux, laissent leur barbe grise Baigner les cheveux roux du divin nouveau-né. Ils versent devant lui les trésors séculaires Dont la gloire pensive embrase leurs palais : Iris couleur de jour, rubis crépusculaires, Olivines de l'Inde et saphirs violets, Tout un fleuve enflammé de folles pierreries, Péridots de Ceylan. diamants d'Alençon, Tourmalines, béryls, sardoines, astéries, Lèche de sa splendeur les pieds de l'enfancon. Et puis, ayant rendu ce culte obligatoire Au Messie annoncé, le dernier Dieu des Dieux, Les Rois Mages, dans l'ombre éblouissante et noire, Se lèvent en silence et se parlent des yeux :