Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/223

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—215— pitent de pâles étoiles, de lointaines étoiles changeantes, comme les feux incertains de ton amour. Mais d'autres fois aussi, surtout quand vient le soir, et que des ombres emplissent notre chambre, des ombres descendent dans tes yeux, et des rêves inconnus s'y poursuivent, jusqu'à ce que tes yeux deviennent fixes et durs, et passant par-dessus mes yeux, s'obstinent à suivre les capricieux, obscurs détours de tes pensées désenchantées ; et tes chers yeux ne sont plus pour moi que de froids abîmes où je me désespère et je me perds, sans que tu veuilles même songer à t'en apercevoir; et tu me dis parfois de ton plus gai sourire que ton amour a fui, que notre amour est fini, et il me semble alors que l'on m'arrache le cœur de la poitrine, que l'on me remplit les yeux de ténèbres et je ne vois plus rien ensuite que des espaces noirs et désolés à l'infini, dans lesquels le bruit seul de mes pas résonne lugubre ment à mes oreilles, et me rappelle ce que j'avais, bonheur, oublié pour un jour, — que je suis ici, inexorablement seul et pour toujours.

Ah! quel heureux sort, ah! quel triste sort, ah! quel heureux sort que d'être amoureux. Quand je te vois, c'est le matin ; quand je te vois, c'est le printemps : — frais baisers, fraîches fontaines, cœur nouveau, saison nouvelle, — flammes de tes yeux, rayons de soleil, — bourgeons éclos, vivants poèmes, — claire et verte chevelure des arbres traversée de soleil, luxure de ton ondoyante chevelure, — fleurs de pêcher toutes blanches pâmées sur le ciel bleu, fleur de ta bouche rouge, riante et passionnée, — étang bleu où se mire l'azur des cieux, — bleus, larges et profonds étangs amoureux de tes yeux, toute la nature est en fête, toute mon âme est en fête quand je te vois, quand je t'ai vue. Mais si je te perds, o chère inconstante, quelle triste saison, quelle froide saison, quel funèbre, glacial et dur hiver. Sombres ciels gelés, blanche terre gelée, cœur glacé, désert, abandonné ; le vent souffle, pleure et s'en gouffre et je suis seul au fond d'un gouffre. Les ramures des arbres se plaignent dans les rafales, la pluie tombe, le ciel se voile, plus de chansons de longs sanglots, dans mon âme délaissée comme au rivage délaissé, longue plainte du vent et des flots. Mais que veux-tu, volage enfant? Veux tu l'hiver ou le printemps? Te reverrai-je, te reverrai-je, et comme je t'aime, m'aimeras-tu? Sort bienheu reux, sort inclément, quel triste sort, quel heureux sort, sort incertain, divers, changeant d'être amoureux sans être amant. Olivier-G. Destrée