Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/228

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— 220 dimanches. Kaléidoscope, je ne m'en dédis pas, car chaque poème mêle, pour la volupté de nos yeux, comme de chatoyants verres de couleur, des sensations rares et fortes. Souvent ces évocations s'apparient à des lambeaux de chansons démodées, de complaintes naïves et de rondes d'antan. Frère Jacques oublie ses matines ; on entend les rouets rouant : sœur Anne regarde et ne voit rien venir, et toute une enfance s'éveille en nous, naïve et chan tante : Et la ville de mes mille âmes, Dorme\-vous, dormez-vous ; Il fait dimanche, mes femmes Et ma ville, dorme\-vous ? Clochers, ton a volé vos heures, Dorme\-vous, dormez-vous ; Frères Jacques aux demeures De quel sommeil dorme\-vous? La note moderne sonne sans blesser l'oreille à travers ces phrases chevro tantes, où le profil et la couleur des choses s'accentuent avec une netteté toute gothique. La strophe, dont l'irrégularité apparente est ici une grâce de plus, garde avec un soin jaloux son rhythme et sa cadence. Et les expres sions d'un seul jet, les inventions et les trouvailles abondent et scintillent de vers en vers. Qu'importe, dès lors, si M Max Elskamp n'a pas tout à fait évité cer taines réminiscences, et s'il tombe parfois, à force de tendre à la netteté et au raccourci, à des excentricités inutiles? Un poète, un vrai poète nous est né. Et sa personnalité se révèle déjà tout entière dans quelques poèmes d'une étonnante intensité de lumière et de relief. Réjouissons-nous donc, et saluons le nouveau-venu. Nous n'avons pas trop souvent l'occasion de chanter Noël.

Tranquille, isolé dans sa pensée, confiant en sa force, sans même s'inquiéter du petit tapage d'égoïsme, de vanité et de sottise que mènent autour de lui d'éphémères écoles artistiques, sans cesse préoccupées des manies qui seront à la mode demain, M. Georges Eekhoud complète son œuvre. Il marche droit devant lui, avec un bel entêtement farouche, comme quelqu'un qui sait où il va, et que personne ne détournera de la route choisie, cette route qui n'est en somme que le prolongement de sa conscience et de son cœur. Après Kees Doorik, les Kermesses, après les Kermesses, les Milices de saint François, après les Milices de saint François, les Nouvelles Kermesses, et puis la Nouvelle Carthage, et puis les Fusillés de Malines, et puis ce Cycle patibulaire qui vient d'éclore chez Kistemaeckers, et qui m'apparaît comme la première terrasse de l'édifice qu'il se construit. La ténacité et la probité littéraires de M. Georges Eekhoud, son effort toujours accru, son heureuse et invincible intransigeance lui assurent, chez nous, la sympathie de tous les libres esprits. Son labeur obstiné, poursuivi malgré mille obstacles, dans le milieu le plus bassement hostile que l'on puisse