Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/244

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—236— roi et du duc un mécanisme de roues, de poids et de leviers; les mettre en mouvement de façon qu'aucune puissance terrestre ne parvienne à les arrê ter ; si je réussis, je continue à vivre, à vivre dans mon œuvre — et en y réfléchissant bien, ce qu'on appelle immortalité n'est peut-être pas autre chose. Pensée consolante et reposante, quel bien tu fais au vieillard ! (Il respire profondement et s'étire avec une expression de bien-être.) Diabolus m'a serré de près ce soir. Ce sont là les suites de mon état d'oisiveté; otium est pulvis — pulveris — le latin n'importe ! Diabolus n'aura plus de prise sur moi ; je veux agir jusqu'à la dernière minute ; je veux... Quel vacarme font ceux-là ! (Il appelle, de la crosse. — Sira Viljam sort de la chapelle.) SCÈNE XVII Sira VilJAM. — L'évêque Nicolas. Nicolas. — Dites-leur de se taire ; ils me dérangent. Le roi et le duc approchent ; j'ai à méditer sur de graves sujets. Sira VilJAM. — Faut-il, seigneur...? NICOLAS. — Ordonnez-leur de s'interrompre quelque temps, afin que je puisse me recueillir. Tiens, ramasse cette lettre, là, par terre, et donne-la moi. (Sira Viljam obéit.) Bien. A présent, donne moi ces papiers. Sira VILJAM (se plaçant à droite du pupitre). — Lesquels, seigneur? NICOLAS. — N'importe lesquels. Cette lettre cachetée, là. (Sira Viljam fait comme Nicolas l'ordonne.) A présent, va-t'en et commande-leur de se tenir tranquille. (Sira Valjam rentre dans la chapelle.) SCÈNE XVIII L'évêque Nicolas, seul. NICOLAS. — Mourir, et pourtant régner en Norwège ! Mourir, et faire en sorte qu'aucun chef ne puisse s'élever d'une tête au-dessus des autres. Mille chemins pourraient conduire à ce but ; mais il n'en est qu'un seul qui vaille : il s'agit de découvrir celui-là... il s'agit de m'engager dans ce che min-là. Ha! ce chemin est tellement près, tellement près ! Oui, il en sera fait ainsi. Je tiens mon serment; je remettrai la lettre au duc ; quant au roi... hum ! je lui enfoncerai l'aiguillon du doute dans le cœur. Hakon est honnête, comme on dit ; s'il perd sa foi en lui-même et en son droit, il per dra bien d'autres vertus encore. Il faut que tous deux doutent et croient, qu'ils soient ballottés entre la confiance et l'incertitude; il faut que le terrain se dérobe constamment sous leur pieds... perpetuum mobile! Mais Hakon croira-t-il ce que je lui raconterai? Certes, ne suis-je pas un mourant! D'ailleurs, je commencerai par lui dire des vérités. Les forces m'abandon nent, mais mon âme se ranime ; je ne gis plus sur mon lit de mort, je suis assis dans ma chambre de travail, je veux passer ma dernière nuit à travail ler, à travailler, jusqu'à ce que s'éteigne la lumière.