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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/247

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—239— SKULE (à voix basse et inquiet). — Évêque, évêque. il s'en va ! NICOLAS (avec un éclat de voix, impérieusement). — Demeurez, roi Hakon. Hakon (s'arrête). — Que me voulez-vous ? NICOLAS. — Vous ne sortirez pas de cette chambre avant d'avoir entendu la dernière parole de l'évêque Nicolas ! HAKON (met instinctivement la main à son épée). — Peut-être vous êtes- vous fait accompagner de nombreux hommes d'armes à ce rendez-vous, seigneur duc? SKULE. — Je ne suis pour rien dans ceci. NICOLAS. — Je saurai vous retenir par la seule puissance de la parole. Dans la maison où se prépare un trépas, le mort a la préséance ; il a le droit de faire ce qu'il lui plaît... bien entendu pour autant qu'il en ait la force. A cette lin, je veux prononcer ma propre oraison funèbre ; jadis, je redou tais toujours que le roi Sverre l'eût prononcée ! HAKON. — Ne parlez pas avec cette colère, seigneur. SKULE. — Vous abrégez les précieux instants qui vous restent! HAKON. — Votre œil se trouble déjà. NICOLAS. — Oui, mon regard se voile; c'est à peine si je vous vois encore, tels que vous vous tenez là devant moi ; mais devant mes yeux intérieurs, ma vie défile, nette et lumineuse. Les images se succèdent. Ecoutez, roi, et que ceci vous serve d'enseignement : Ma famille était la plus puissante dans le pays ; plus d'un chef fameux en est issu ; de tous je voulais être le plus grand. Dès le berceau, j'aspirais à des actions d'éclat; il me semblait impossible d'attendre, pour me distinguer, jusqu'à l'âge d'homme. Des rois s'élevèrent au-dessus de leurs guerriers, qui avaient moins de droits que moi : Magnus Erlingsson, le prêtre Sverre. Moi aussi je voulais devenir roi, mais d'abord chef de guerriers, ce stage étant indispensable. Une grande bataille, celle sur les Illewâllen, allait être livrée ; c'était la première fois que j'assistais à une bataille. Le soleil levant se refléta dans des milliers de glaives qui semblaient, en s'entrechoquant, forger des éclairs. Magnus s'élança en avant avec ses hommes, comme s'il s'agissait d'un simple jeu; de tous ceux qui se trouvaient là j'étais le seul dont le cœur se fût contracté. Alors que notre petite troupe poussait courageusement en avant, moi seul m'abstenais de participer à la victoire : j'avais peurl Tous les autres chefs du roi Magnus combattirent virilement, et plus d'un tomba pour ne plus se relever; mais moi je m'enfuis, à travers la plaine, par-dessus les rochers, je courus, je courus toujours, jusqu'à ce que j'atteignis les rives du golfe. Ce soir-là plus d'un lava ses vêtements ensanglantés dans le golfe de Drontheim. J'y lavai aussi les miens... mais non à cause du sang. Oui, roi, j'avais peur! Créé pour conduire des guerriers. . . et avoir peur ! Cette découverte me fou droya ; à partir de ce jour j'en voulus à tout le monde ; j'allais prier en secret dans les églises; je m'agenouillais en pleurant devant les autels; je prodiguais de riches offrandes, je faisais des vœux solennels. Je pris part à de nouvelles batailles, je renouvelai l'épreuve aussi souvent que l'occasion s'en présenta, près de Saltosund, sur les lonswàllen, cet été où les Bagler menacèrent