Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/258

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—25o— Ce titre annonce clairement, en une forme heureuse, et dont l'honneur revient, je pense, à M. Francis Nautet, la thèse qui domine le livre. L'intention de l'essayiste est de réagir contre le préjugé national qui décrète que nous n'avons point de littérature nationale. Longtemps ce préjugé a été considéré, chez nous, comme un dogme, un des dogmes fondamentaux de cette religion de la médiocrité satisfaite et du débinage chronique qui est encore, en Belgique, notre religion d'Etat. Jusqu'à ce jour, — et cette méthode simpliste n'est pas encore entièrement abandonnée par certains plumifèresde la presse quotidienne, — notre critique journalière, qui régnait sur l'opinion du droit régalien qu'ont les borgnes dans le royaume des aveugles, usait d'un moyen élémentaire pour discréditer les tentatives de nos écrivains. Si le livre belge d'expression française était médiocre, on le déclarait mauvais parce qu'il ne ressemblait pas assez aux livres français, et s'il était bon, on lui reprochait sur le champ de leur ressembler trop. Jusqu'à ce jour, à d honorables exceptions près, et que la Jeune Bel gique à signalées avec une gratitude mêlée de surprise, notre critique offi cielle n'a point vu, ou n'a point voulu voir, que, si nos bons écrivains de langue française s'appliquent justement à écrire non le patois belge, fian- dricisé ou wallonnisé, mais le vrai français de France, ils se distinguent nettement des écrivains français par leur façon de penser et de sentir. C'est cette vérité méconnue que M. Francis Nautet met enfin en lumière, et pour la diffusion de laquelle il use de toutes les ressources de son esprit si vivant et si ingénieux. Dans la partie générale de son remarquable essai, il montre, avec beaucoup de sûreté et de force, combien la situation géogra phique de notre pays est favorable à des sélections intellectuelles et com ment notre situation politique a rendu nécessaires, entre des enfants de races diverses, des croisements de génie et d'idéal. Et il conclut avec rai son à l'existence relativement récente, en Belgique, d'une littérature mixte, nourrie à la fois par l'imagination septentrionale et par la culture française, et dans laquelle se fondent peu à peu, tout en conservant encore leur caractère d'origine, l'esprit flamand et l'esprit wallon. Cette démonstration nous est précieuse, et nous en savons gré à M. Fran cis Nautet, car elle est la justification, formulée par un critique d'une probité et d'un désintéressement incontestables, des efforts et des luttes de la jeune école belge. Qu'il reçoive ici le témoignage de gratitude auquel lui donne droit sa cordiale et clairvoyante sympathie. Cette démonstration est à nos yeux la partie essentielle de l'œuvre. Mais il ne faudrait pas inférer de cette opinion que les pages suivantes manquent d'accent ou d'intérêt. Bien au contraire : M. Francis Nautet a esquissé, en un chapitre d'allure alerte et pittoresque, la curieuse histoire des mille et une tentatives isolées qui ont précédé et annoncé l'effort d'il y a quinze ans. Tous les lecteurs trouveront dans ce chapitre des renseignements utiles ou piquants, et plusieurs, des rappels déjà lointains des belles batailles de leur jeunesse. Je remercie particulièrement M. Francis Nautet du souvenir ému qu'il accorde à la mémoire de Max Waller et de Charles-Henry de Tom beur. Ce furent deux âmes charmantes et deux vaillants cœurs. Leur nom devait briller dans ce livre.