Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/259

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—25i— II serait difficile, et presque malséant, de critiquer, dans la Jeune Bel gique, une œuvre consacrée à l'histoire d'un mouvement qu'elle a créé. Il me sera permis cependant de signaler l'étude sur Charles De Coster, une des meilleures inspirations de M. Francis Nautet. Il rend un hommage impartial et mérité à celui de nos écrivains qui eut le plus à souffrir de l'ignorance et de la bassesse nationales. On connaît la manière de M. Francis Nautet. Nos lecteurs n'ont pas oublié ses Notes sur la littérature moderne, d'un tour si vivant et si per sonnel. Les mêmes qualités s'affirment dans l'Histoire des lettres belges d'expression française. Aujourd'hui comme hier, M. Francis Nautet est l'esprit que nous connaissons : esprit curieux, avide de la fleur des choses, mobile à force de finesse, préférant aux déductions patientes une course à bonds inégaux d'hypothèse en hypothèse, de paradoxes en vérités, et sur prenant même les familiers de sa pensée par des éclairs soudains et des intuitions inattendues. Je crois qu'il devine et qu'il vérifie après. Il a bien raison de ne pas changer de manière, car c'est à cette manière toute spon tanée qu'il doit non seulement le charme et l'originalité, mais aussi la saga cité et la clairvoyance de sa critique. -** Dans la première partie de son Histoire des lettres belges, M. Francis Nautet s'arrête à Charles De Coster. C'est dans la deuxième partie de son essai qu'il étudiera l'œuvre de M. Camille Lemonnier. Cette étude ne peut manquer d'être pénétrante, car il s'en faut de beaucoup, malgré tant d'articles parus à Paris et à Bruxelles, que l'on aît dit sur le talent de M. Camille Lemonnier le mot suprême et définitif. L'écrivain lui-même semble d'ailleurs s'y opposer par de perpétuelles tentatives de transforma tion et de rajeunissement, où il met une sorte de coquetterie et de fierté. Il s'en explique avec franchise dans les pages très personnelles intitulées Esthétique, et qui sont comme le fermoir du bréviaire de nouvelles qu'il vient de publier chez Savine : Dames de volupté. M..Camille Lemonnier ne pense pas, comme on l'a dit ingénieusement, que l'originalité, ce soit de faire toujours la même chose. Son idéal serait, au contraire, d'édifier un art aussi large, aussi varié, aussi contradictoire que la nature et la vie. Et son étonnante abondance lui permet de telles ambitions. Mais il ne faudrait pas en conclure que M. Camille Lemonnier tende vers un protéisme tout à fait impersonnel. Je voudrais voir M. Francis Nautet démontrer que si l'auteur du Mort a eu presque autant d'incarna tions que de livres, ses livres se ressemblent cependant entre eux, et beau coup plus qu'il est convenu de le dire, dans les cercles littéraires où le meilleur article que l'on puisse écrire sur l'œuvre d'aujourd'hui, c'est l'article que l'on a écrit sur l'œuvre d'hier. Certes, M. Camille Lemonnier déconcerte le lecteur superficiel par de multiples métamorphoses. Mais si l'on y regarde bien et longtemps, on s'aperçoit que ces métamorphoses ne sont guère que des costumes de son tempérament et des déguisements de sa pensée. La couleur et la forme des