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Page:La Jeune Belgique, t11, 1892.djvu/260

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—252— vêtements changent à chaque instant, et pour aider le vêtement, M. Camille Lemonnier grime avec beaucoup d'art sa figure intellectuelle, mais le geste, les attitudes, la démarche, les plis de la physionomie et le timbre de la voix, tout le dénonce et le trahit. Trahison heureuse et dont l'écrivain n'a pas à se plaindre, car sinon le romancier ressemblerait au comédien et au rhéteur. Ce que M. Camille Lemonnier recherche avant tout, c'est l'intensité. L'intensité dans la force ou dans la douceur, dans la simplicité ou dans la complexité, dans le noble ou dans le trivial, dans la tragédie comme dans la farce. Cette habitude d'imagination se retrouve dans ses œuvres les plus dissemblables. Et sa .prodigieuse richesse verbale - l'expression est, je crois, de M. Célestin Demblon — lui donne, pour atteindre à cette unité dans la variété, des ressources toujours nouvelles. Recherche de l'intensité et richesse verbale, telles sont, me semble-t-il, les deux caractéristiques de M Camille Lemonnier. Ces réflexions hâtives me sont suggérées par Dames de volupté, un recueil de contes qui présentent entre eux la même diversité d'inspiration et de style que les romans de leur auteur. Et s'il se trouve des incrédules, je les supplie de relire, au double point de vue que je signale, le Corps de Christ, les Trois Rois et le Carillonneur . M. Henri de Régnier n'est pas un inconnu pour les lecteurs de la Jeune Belgique; ils ont eu la primeur de quelques-uns de ses plus beaux poèmes, et j'ai eu l'occasion d'exprimer ici même l'estime et la sympathie que j'éprouve pour le visionnaire des Sites et des Episodes. Tel qu'en songe, sa nouvelle œuvre, nous le présente sous le même aspect, dans la même atti tude de mélancolie et de rêve. C'est la même voix riche et couleur d'or, le même geste au rhythme lent et grégorien, mais les poèmes que cette voix chante et que ce geste mesure, sont d'une haleine plus longue et d'une plus haute ambition. M. Henri de Régnier voit les choses sous leur couleur épique et légen daire, et cette vision lui est naturelle. Le chemin qu'il a parcouru depuis les Sites jusqu'à Tel qu'en songe le démontre éloquemment. Dans ses premiers poèmes, M. de Régnier célébrait les personnages de la fable, et pour les rendre plus fabuleux, s'interdisait parfois de les nommer. Cette tendance s'accentue chez le poète : la mythologie vague où il se complai sait, lui semble encore trop déterminée. Il chante maintenant le Héros anonyme, et dans Tel qu'en songe, il est son propre héros. Les divers épisodes qui composent ce livre, nous dit-il dans une espèce d'avertissement laconique, « concourent tous à une sorte d'apologie emblé matique du Soi ». Le héros de son livre, c'est le reflet de son rêve intime sur les paysages et les décors qu'il a imaginés : Fleurs à la chevelure ou serpent qui la ronge. Que la tête sourie ou saigne sur l'écu, Et dresse tel que toi, façonné de ton songe, L'intérieur Destin que tu n'as pas vécu!